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I'Ereg geant pour regarder s’allumer les messabih, les flambeaux k huile, que la pietć des Souafa allume prós des tombeaux. Ces flammes falotes, veilleuses de la mort, dans 1’embrasement rouge du couchant, lui semblaient d’ames eveillees, d’etres vivants aux yeux de feu, qui la regardaient et clignaient des paupićres. Puis, quand la nuit venait, elle se souvenait qu’il y avait la des tombeaux hantes par les esprits, et, trćs vite, elle s’enfuyait.171
Eberhardt aime souligner le lien etroit de ses heros indigenes avec la naturę, souvent en les opposant aux heros citadins, pour indiquer que la ville est un lieu de corruption et de mai. Ce motif est renforce par le pen-chant mystique de ses autochtones ce qui conduit directement a la decou-verte de 1’islam :
Sa qualite de musulmane, dit Randau, lui permettait de mieux comprendre que nous 1’arne du paysan berbere. On la saluait, tel un marabout venere, lorsqu’a cheval elle traversait un douar [...]. Comme elle connaissait a fond les gens du bied, Isabeile a pu ecrire quantite de nouvelles ou jamais un personnage ne rćpćte un personnage; dans un style net, incisif, souvent brutal, elle decrivait leurs labeurs et leurs peines, et atteignait sans efifort k de puissants effets dramatiques.172
Cette penetration du monde musulman et indigóne lui permet d’observer 1’Autre inscrit dans son entourage naturel, dans sa familie et sa langue, car Eberhardt aime employer des mots arabes. Le mariage decrit par elle dans la nouvelle Sous le Joug est conclu selon les rites arabes. II s’avćre pour un lecteur non-arabe comme une transaction commerciale entre Pinteressć et les parents d’une jeune filie. Tessaadith, mariće a un vieux marchand d’Eloued, forcee de vivre en ville en compagnie de sa belle-mere, «vieille creature sourde et gateuse, [...] dans une grandę mai-son dont une partie tombait en ruine»,7\ n’est plus une bedouine
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heureuse; l’univers indigene vu de Pinterieur n’est pas lisse. La jeune fem-me se revolte contrę la tyrannie de son mari pour se lier avec un jeune spahi, Abdelkader, de la tribu des Ouled Darradj du Hodna. Remarquons la precision avec laquelle Eberhardt presente ses hćros; ils ne sont plus anonymes comme chez Bertrand et ils n’ont pas le statut de deuxićme catćgorie des personnages de Randau, ici, Pauteur les situe au centre de ses textes. Apres sa rćpudiation, Tessaadith demenage dans un autre quar-tier de la ville «[...] dans les Messaba, chez une vieille nommee Fatma, m Ibid., pp. 177-178.
I7J R. Lebel, Etudes de litterature coloniale, Paris, J. Peyronnet et Cie, 1928, p. 59. 173 I. Eberhardt, Sous leJoug, op. cit., p. 178.