69
Dans un court dialogue (qui n’est pas un vrai dialogue car 1’interlo-cuteur tourne le dos au lieutenant sans rćpondre), l’experience de 1’Autre semble importante car elle amene & plusieurs rćflexions sur les rapports entre «Je» et «Autre».
Toujours au meme endroit, Auligny rencontre son ancien camarade du collćge, Pierre de Guiscart, accompagnć de son chauffeur CaccaveIIa dont le propos : «- Les Espagnols ils sont beaucoup trop gentils avec les Arabes. Les Franęais, c’est & coups de matraque, et ęa marche bien mieux» ne fait pas douter de son attitude colonialiste envers les indi-genes. Pour maintenir l’ćquilibre des opinions sur les Arabes, Montherlant laisse parler Guiscart, arabophile qui trouve en Afrique «[...] un ton vital plus haut et plus virulent qu’en France, et ou [il] [s]e sen[t] plus a [s]on
aise.»ł88 C’est le meme Guiscart qui dresse le portrait de 1’Arabe creć par
#
le Franęais ou par 1’Europćen et qui explique a Auligny comment on arrive a avoir un tel portrait. Ce long discours concemant la production d’un tel portrait de 1’Arabe est d’autant plus interessant que c’est le peintre (Guiscart) qui en parle, ce qui peut etre qualifie comme un pro-cćde de misę en abyme. Opposant 1’arabophile (Guiscart) et 1’arabophobe (Auligny) au dćbut du livre, Montherlant profite de 1’occasion pour pre-senter son point de vue sur les indigćnes, mais aussi il approfondit forte-ment la diflfćrence des opinions de ses deux heros dont nous allons observer l'ćvolution au cours du roman; la predilection de l’ćcrivain pour le paradoxe fera de 1’arabophobe, 1’arabophile qui perira des mains des Arabes. Au dćbut du roman Guiscart explique a Auligny l'evolution des idees des Europćens sur les Arabes :
Quand (les ćtrangers) arrivent, ils sont arabophiles. [...] Un jour, leur dome-stique arabe les vole. Alors : “Race maudite! Sales, voleurs, feignants, men-teurs, ingrats, vćroles, sauvages avec les femmes, sauvages avec les ani-maux...” [...] Plus tard, quand on a vćcu quelques annees dans le pays [...] on se dit : “Ils ont des defauts que n’ont pas les Europćens. Et les Europćens ont des dćfauts qu’eux n’ont pas.” [...] Mais la necessite pour les hommes de lettres, c’est-&-dire pour tous les Franęais, de tracer un portrait de 1’Arabe quand tout portrait se tracę par des difterences, les a amenćs a exagćrer ces differences et a crćer une vćritable caricature de 1’Arabe, qui a aujourd’hui force de poncif. Peu importe meme si les traits de cette caricature se contredisent du tout au tout. C'est ainsi que le cliche dit: “La justice est la seule langue que nous puissions leur parler”, tandis qu’un autre clichć af-
1,7 Ibid., p. 15. '“Ibid., p. 16.