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LE MAROC CATHOLIQUE
ui-ci d’ailleurs n’est plus un enfant : fils, petit e ariiere petit-fils de commeręant il s'est lui aussi out naturellement lancć dans le commerce. II a lou< eux pas d ici, une echoppe ou il s'est installe, entre marchand de beurre et d’huile hassanie aux fortes odei et un ćpicier qui par bonheur s’est mis a vendre des b
Si Mohamed, mon voisin, va marier son fils Ahmed. Si-Mohamed est un digne Marrakchi ; Imposant d’allure, un peu bedonnant dćj&, v6tu d'une toujours propre jellaba de drap gris perle, la figurę grave encadree d’un collier de barbe blanche, il se montre bien, quand il dćambule de par les rues de la ville, le digne representant d'une an-cięnne et respectable familie. Celle-ci, autrefois, aprds la conąuete de TEspagne par les maures, s’ćtait fixće en An-dalousie ; elle prospera jusqu*au jour ou, chassće par les ^icissitudes des temps et la reconqu£te espagnole, elle vint chercher fortunę dans la capitale du Sud de cet autre em- . pire fortunć qu’est le Maroc. Et la, 1’aisance sinon la fortunę vint reparer et faire oublier les dures śpreuves de l’exil. r «. ;
Si-Mohamed, donc, compte maintenant parmi les res-pec ables commeręants de la ville. Dans la Kessaria, cen-re du mouvement commercial de la ville indigSne, il tient une boutique od s’entassent en piles imposantes des chaus-sures de toutes sortes: baboiiches de cuir jaune serin des-in es aux hommes, bebras de cuir rouge pour les fem-^mes, cherbils, dont les broderies d’or ou d’argent font, a ravers la fente du voile qui les protdge, briller de con-\ oitise les veux des promeneuses. Au milieu de cet amas c e cuirs Si-Mohamed passe des jours paisibles et un peu monotones. Parfois cependant un peu trop paisibles k son gić, et il me confiait que cette annśe n'avait pas ćte brillante : Les sauterelles, la sścheresse ont accablć le bied, et la schkara des campagnards est restće vide et piąte. A peine peuvent-ils se procurer la galette de pain quotidien-ne. Inutile k eux de songer k se payer le luxe d'une paire
e abouches neuves pour eux-memes, et encore moins pour leur femme.
Mais enfin n’exagćrons pas la duretć du temps. Celle-ei n a pas chassć des 16vres de Si-Mohamed son aimable sourire, pas plus qu’elle ne l'a empćchć de songer k raa-ner son fils Ahmed.
quets de menthe dont les effluves viennent — un peu — conti ebalancer les relents que degagent les matidres gras-ses du commeręant d’& cotć.
Ahmed, ainsi flanque, s’est mis tout bonnement k vendre de la lingerie. II fait le marchand de nouveautćs pour ćłćgantes marrakchies. Dans son śtroite boutique et soigneusement plićes s’empilent les qaftans de soie, les ceintures de velours ornćes de grosses boucles d’ar-gent, les voiles de soie, et a cotć de ces articles de luxe, les coupons de toile ou de tissus de laine ou chacun se taille les v6tements de tous les jours.
Ahmed passait donc la, au milieu de sa lingerie, des jours heureux quand ses parents, un beau jour, rćsolurent de le marier. Sa m£re se mit donc en quete d’une femme pour lui. Les femmes, en generał, au Maroc sortent peu de chez elles, mais enfin il y a, pour se voir, se causer et papoter, les jours de sortie, les vendredis ou la visite k la mosquśe mśnage bien des entrevues. Bref, k force de se documenter, de questionner et de faire parler les bavar-des, la m6re de Si-Ahmed finit par se persuader que la filie qui conviendrait le mieux a son enfant ćtait Zina — au nom prśdestinć, car Zina veut dire « la jolie » — la filie d’un nćgociant en sucre de la rue voisine.
Elle se rendit donc un jour, accompagn^e d’une amie, chez la mere de Zina, finit aprfcs une tres longue entree en mati^res pour avouer 1’objet de sa visite et fit si bien qu’il fut d^cidć—par les deux femmes au moins- que Si-Ahmed qui ne connaissait pas Zina s’entendrait parfaite-ment avec elle et que Zina, qui ne connaissait pas Si-Ahmed. ferait certainemcnt son bonheur.
Cette affirmation que d’autres auraient estimee un peu prćmaturće, obtint bien vite 1‘approbation des deux mamans ; mais il fallut plus de temps et de negociations pour mettre les deux familles d’accord sur la valeur du trousseau que Zina recevrait pour son mariage. Chacun y mit du sień et on estima qu’un trouseau de trois mille francs conviendrait 'k la futurę ćpousśe.
Tout ceci rćglć, il fut signifić aux deux interesses, Si-Ahmed et Zina, qu’ils śtaient fiances et devaient s'en rćjouir profondćment... Chacun s’inclina et le jour et le cćrćmonial de la noce furent fixćs.
La noce durera 8 jours. Telle est la caida, la coutumc des familles qui se respectent et tiennent quelque peu k leur rśputation.
Le premier jour donc, avant 1’aube, il est six heures a peine et la nuit couvre encore Marrakech, quand bru-yamment s’amene 1’orchcstre. Le temps de faire ouvrir la porte, de prendre place et voila les musiciens qui dśj^i se mettent k accorder leurs instruments. Les violons grincent longuement sous les archets, finissent enfin par se mettre d’accord et — comme si elle voulait rćveiller le paisible quartier encore endormi, — la symphonie com-mence, qui n’est pas prds de finir ! Le soir, invitć par mon aimable voisin k prendre part a la fete, je pus enfin con-templer le bruyant orchestrę qui, la journće durant, avait ^gayć le quartier de ses accents. Ils ćtaient 1&. 6 musiciens, 6 juifs, accroupis sur les nattes et se dśmcnant k qui mieux mieux avec leur instrument: Un violon sem-blable aux nótres, que 1’artiste tient, non pas appuye sur 1’ćpaule, mais tout droit devant lui appuyć sur les cuisses. trois Rbab, sorte de luth k 3 cordes, un tambourin, une Paire de cymbales. Peu de choses au fond, mais qui, vi-goureusement manićes, arrivaient k faire un beau ta-page.