126 Audrei Pippidi 10
A vrai dire, il ne participait officiellement a ces negociations qu’en ąualitć d’interprete, parce que son noble patron avait choisi pour le representcr un officiei franęais, le chevalier de La Chaloussiere, dont le passeport indiquait seulunent qu’il voyageait en compagnie d’un valet de chambre et d un laquais37. Ils sont arrives a Constantinople le 12 mars 1784. Ainsi,ils trou\ erent conclue depuis deu\ mois la convention d’Ainali-Kavak (8 janvier), qui, en confirmant la paix entre 1’Empire ottoman et la Russie, rendait inutile cette mission-’8.
Le «joumal» de Gbika est formę de ses notes et reflexions, mais aussi des copies de la correspondance reęue et envoyee a partir du 14 mars etjusqu’au 29 mai,datę de son depart pour la Fiance (les demieres pages sont eciit^s en juillet dans la quarantaine de Marseille). Tous ces documents permettent de se rendre compte que Ghika n’etait absolument pas le genre d’agent dont la diplorratie socrCt^ doit se servir: l’homme etait vaniteux, nerveux, irritable, angoisse, fanfaron, domine par la manie du mystere.Tantót il adopte la signature conspirative «765», tantót il prend un autre nom, «Caramlis», dont on ne sait exactement s’il wt vraiment faux. Autom- de lui, les principaux personnages de «Ia Loi», c’est-a-diie le Scrail, .oiri egalement designes par un chiffre conventionnel. Le sułtan est «Mr.Duplessis», le vizir est «Mr.Collet», les Detroits sont «les Thuilleries» conune Constantinople «Orleans» et Pera «Auteuil». S’il est question de Saint-Priest ou de 1’intemonce, ce sont «M. Engven» et « Pauline», tandis que 1’Europc devient «Les Cl amps Elisees»: precautions bien inutiles parce qu’elles enveloppent un secret de Polichinelle. II arrive a Ghika de se deguiser en marchand pour penetrer dans la maison du drogman de la Flotte, qui etait Nicolas Mavroyeni,le futur prince de Valachie39. Quelques jouis plus tard, il s’introduira dans le harem du pacha d'Eizeroum, pour avoir avec «la damę voilee» un entretien politique «dans un cabinet a cóte de bain»40. Mais il est entre en conflit, tres vite, avec La Chaloussiere, qu’il bombardait de lettres et dont il se savait meprise. Son collegue etant devenu sa bele noire, il se plaint de sa «fouiberie» et il 1’appelle «le chevaher aerostatique» ou «pet en PaiD>41.
Celui-ci etait, il est vrai, paresseux, grossier, cupide et arrogant: «Un gentilhomme firanęais», disait-il, «vaut bien pour le moins cent drogmans de la Porte», car celui-la «enfin n’est qu’un esclave» etc.42. De plus, le chevalier se trouvait sous Pinfluence de Saint-Priest et 1’ambassadeur nc pouvait eprouver aucune sympathie pour cette intrigue qui faisait concurrence aux efforts de la diplomatie franęaise officielle, d’orientation opposee. Alors, chaque fois qu’il en avait 1’occasion, Saint-Priest desavouait les envoyes du duc de Luxembomg. Dans ses rapports avec la
31 Montmorency-Luxembourg aHennin, le 19 decembre 1783 (ras.ciie, f.498). Le lendemain, apres avoir ete enfin reęu par Vergennes, il se declare enchante, sans soupęonner la teneur de la lettre adressee k St.Priest: «il m’a traitć avec une confiance a laquelle je suis infinimeni sensible» (ibid., f. 495).
nIbid., f.505,Ghika a Hennin, Paris, le 9 septembre 1784.
3,N.Corivan, art.cit., p.34.
40 Ibid., p. 53.
41 Ibid., pp. 76, 83, 99.
42 Ibid., p. 59.