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et bien hasardeuse»54. Devant un tribunal ottoman, il avait gagne, parce que le fils d’une esclave achetee est legitime, en droit islamiąue, mais la familie, ayant de son cote le patriarchę Joannice III Karadja, rcfiisait le moindre contact avec cet aventurier, incapable de foumir des preuves de 1’identite de son pere et, de surcroit, tzigane par sa mere.Quelques allusions dans son joumal montrent que plusienrs points de son passe demeuraient obscurs et que lui-meme ne desiraitpas qu’ils fussent tires au clair: son mariage en France55, un sejour en Russie 56 et menie une temporaire conversion a 1’Islam 57.
M.de Vergennes ignorait peut-etre certains de ces avatars, mais ce qu’il savait etait suffisant pour le faire se mefier. Lorsque Saint Priest croit devoir le prevenir contrę «le soi-disant Ghikapersonnage controuve, le feu Prince de Moldavie n’ayant que deux fils bien connus» 58 le nunistre repond: «Je sais tres bien que le pretendu Ghika n’est pas ce qu’il se dit» 5S>. Plus tard, il revient avec des details: «Tout ce qu’on peut demeler dans les discours de cet intrigant et dans sa faęon d’etre est qu’il est Italien et qu’il s’est fait Turę (...) Quelques personnes assurent qu’il a ete Jesuite.il convient lui-meme qu’il s’est attache aux Russes pendant la demiere guerre et pretend en avoir etć mai recompense »60. A ce point on entrevoit mieux le caractere d’Alexandre Ghika. Mais avant de revemr sur ses antecedents que la police de Louis XVI connaissait mieux que nous, il est temps d’accompagner le douteux personnage a Paris.
Somrne de rendre les papiers qu’il possedait, il eut la malencontrcuse idee de refuser, ce qui le fit soupęonner de vouloir les publicr-il en etait bien capable -et d’etre donc un espion des Russes. On peut sMmaginer son audience chez Vergennes au retour «j’en fus un peu mai reęu», devait-il avouer6t. II ne pouvait non plus escompter le soutien du duc, que La Chaloussiere et Hennin avaient monte contrę lui, et il avait toutes les chances de se retrouver a la Bastille.il essaiera une demiere fois de se justifier par un long memoire adresse a Hennin62, ou il invoque son joumal commepreuve de sabonne foi. Le joumal lui futconfisque, commeses autres documents - lesquels, pour cette raison,se trouvent aux Affaires Ćtrangeres - et on lui signifia froidement son conge. Celui qui s’en chargea avec un malin plaisir fat Hennin: «Si vous m’en croyez, Monsieur, vous remettrez a M.le Duc de Luxembourg les papiers qu’il vous a fait demander et vous vous laisserez oublier dans ce pays-ci» 63.
34 7lid., pp. 61, 107-109.
33 Ibid., p.l 10. Cf. Hurmuzaki, suppl. I, vol.II, p.30 («la France ou je laisse pour gage de ma fidelite ce que j’ai de plus cher»).
3< «Le train que j’ai mene en Russie», dit-il lui-meme (N.Corivan. loc.cit., p.69).
37 Ibid., p. 103. Elle ressort du fait qu’il recounait avoir porte le nom de «Mehmed Bey Gikaogli». Le patriarchę en parlait comme «d’un apostat dont le nom avait ete raye du livre de l’eglise» (ibid,p. 108).
3t Hurmuzaki, suppl.I, vol.II, pp. 32-33, le 20 mars 1784.
39 Ibid., p.33, le 20 avril 1784. Un mois plus tard, la lettre de Vergennes, que Saint Priest avait montre k La Chaloussiere, parvenait a la connaissance de Ghika («je sais que cet intrigant n’est pas ce qu’il prćtend etre» etc.), cf. N. Corivan, arł.cit., p. 91.
*! Hurmuzaki,voL cite, p.34.
61 Lettre au duc de Luxembourg, le 8 septembre 1784 (ms. 1268, fi 511-512).
62 Le 9 septembre, ibid., fi. 505-507.
63 Le 13 septembre, ibid., f. 509.