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mort, allait & la mort, et il n'y avait en lui que de la paix. Guiscart a qui, cinq minutes plus tót, cela etait si egal de mourir, pour vivre aurait tue.
Auligny s'avanęa vers la porte et cria en arabe : “Qu'est-ce que vous voulez?” II voyait leurs pieds se detacher en noir, dans 1'eclaircie au-dessous de la porte... Guiscart jęta un coup d'oeil dans les cabinets : la fenetre etait minuscule.
Auligny cria : “Je vais ouvrir. Nous sommes ici des amis des Arabes.” Guiscart se jęta de toute sa force sur la porte communiquant avec le jardin. [...] II se prćcipita dans le jardin, les yeux dilates, comme une bete pour-
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suivie.
Cette dialectique de la pensee se trouve renforcće par la menace de la mort; les evenements prennent leur vigueur dramatique; 1'acte d'ouvrir la porte aux Arabes est la preuve de l'extreme confiance qu'Auligny eprouve pour les Arabes; mais la mort qu'il reęoit de leurs mains prend aussi une valeur symbolique.
La mćdina s'est refermee sur lui, l'a englouti sans lui reveler son mystere, et le rejene mort, victime de sa passion, de son illusion, de son desir de connaitre, et le livre a 1'Autre comme signe de rćprobation, comme symbole de son dedain et de sa haine. Guiscart, son ami, a pu s'echapper parce qu'il est le symbole de 1'homme desabuse qui vit contrę sa societe, pour lui meme, sans illusions, sans espoir, sans amour... Son cadavre, s'il etait mort avec Auligny, ne serait porteur d'aucun message, d'aucun signe. Mort inutile. La mort d'Auligny, au contraire, est un avertissement, le commencement d'une revolte ouverte. Cest le premier “acte” de Ram ou du Maroc. Le Maroc sort de son impassibilite apparente pour 1'action directe. Auligny meurt et c'est Ram qui “arme” ses assassins. Le Maroc, en se retrouvant, rejette 1'Autre et semble, en brisant sa resignation passive, refuser 1'affront, repondre autre-ment que par le silence a 1'insulte et aux vexations.355
Lahjomri indique la particularite du statut d'Auligny au Maroc : les róles semblent inverses; des emeutes eclatent dans ce pays et des gens comme Auligny retrouvent toute leur altćrite dans l'univers colonial ou il n'y a plus de place pour eux. La revolte seule pourrait aboutir au change-ment du statut de 1'indigene. Ce message transmis par Montherlant n'a pas pu etre diffuse dans les annees trente au moment de 1'apogee de 1'empire colonial franęais, bien qu'il ait pu paraitre prophetique.
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354 Ibid., pp. 550-551.
3,5 A. Lahjomri, L'image du Marne, op. cit., pp. 292-293.