92 Christian Coulon
etre celles d’une histoire authentiąue de 1’Afriąue contemporaine et parce qu’ils sont suffisamment gćnćraux pour pouvoir etre acceptćs par la majoritć des futurs rćdacteurs du volume.
Premierę remarque : lorsque j’avance que toute histoire de l’Afrique contemporaine doit prendre en considćration 1’action populaire et la vie ąuoti-dienne, je veux dire que 1’historien ne doit pas se limiter au genre d‘histoire officielle comme celle qui peut apparaltre k travers les biographies des grands leaders nationalistes, par exemple, ou les programmes de partis politiques. II me semble important que le vćcu des populations concemćes soit ćgalement introduit comme structure ćlćmentaire de 1’histoire.
Ainsi, la lutte contrę le colonisateur n’a pas ćtć l’apanage des grands rćsistants africains ou, plus tard, des partis nationalistes. Dans leur vie de tous les jours et sous des formes souvent inćdites et pragmatiques, les paysans africains ont ćlaborć toute une panoplie de rćsistance active ou passive k la colo-nisation. Le refus de cultiver le cafć ou de 1’arachide, la rćsistance k la conscrip-tion militaire, par exemple, constituent, selon moi, des actes qui dćnotent une opposition plus ou moins structurće k la domination ćtrangere, et il est trop facile, comme on le fait souvent, de qualifier cette contestation de conservatrice ou de traditionnelle. Toute histoire de TAfrique qui ne prend pas en considćration ces phćnomćnes est nćcessairement incomplćte et rćductrice.
L’histoire ne peut se rćduire k ce qui se passe au « centre ». II est certain, par exemple, que, comme nous le signalions plus haut, 1’histoire du nationalisme africain ne se limite pas k celle des mouvements politiques crććs et dirigćs par l’ćlite occidentalisće. L’historien se doit d’ćtudier les mouvements prophć-tiques, les rćsistances populaires, etc.
De meme, k propos de la pćriode de « construction nationale » qui a suivi 1’indćpendance, il faudrait prendre quelques prćcautions afin de ne pas centrer trop abusivement 1’histoire de l’Afrique sur 1’histoire des Ćtats qui la composent. Les analyses politiques tendent k surestimer le pouvoir du pouvoir et donc k faire comme si seules les classes dirigeantes existaient, comme si seules elles marquaient la socićtć de leur empreinte. Cette dćmarche est cou-rante dans Tapproche institutionnaliste classique, qui nous prćsente 1’Ćtat comme 1’ćlćment constitutif du politique, mais aussi chez les thćoriciens du dćveloppement politique, qui font porter essentiellement leur attention sur les forces, róles et fonctions « modemisateurs » apprćhendćs comme dynamiques et universels, au dćtriment des forces, róles et fonctions apprćhendćs comme fćodaux et traditionalistes8. En rćalitć, les structures « modemisantes » du centre ne sont pas seules k faire 1’histoire. Elles n’ont pas toujours toute la puissance qu’on leur prete. Elles n’exercent souvent qu’une souverainetć
3. Voir Christian Coulon, « Systómes politiąues et socićtós dans les Ćtats d’Afrique noire »,
Revue franęaise de science politiąue, vol. XXII, p. 1049-1073.