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particulierement sa sensibilite. Ces descriptions breves n'en sont pas moins tranchantes, accusatrices envers le regime colonial en Algerie, mais a cóte de ces indices ouvertement politiques, Eberhardt met en evidence l'univers indigene qui exerce sur elle une fascination visible qu'elle tache de transmettre a ses lecteurs. Dans le fragment cite ci-dessus, dont la tonalite denonciatrice est incontestable, on nous place devant les conditions inhumaines de vie dans la prison pour indigenes et, par le biais de ces evćnements epouvantables, l'ćcrivain communique des informa-tions sur la vie des autochtones dans le Souf algerien et sur les rapports fondamentaux sur ce territoire entre le colonisateur et le colonise, qui different parfois de cette ligne de partage deja classique et trop connue qui divise l'univers colonial entre les bons indigenes et les conquerants vio-lents, depourvus de scrupules. Eberhardt etant reporter de guerre dans le Sud oranais, reste en bonnes relations avec Lyautey a AYn Seffa, d'ou cette disposition a garder une image complete et complexe de la situation sur le territoire algerien et a la frontiere algero-marocaine. Le fragment cite ap-porte quelques renseignements sur le modę de vie des indigenes: la nour-riture plus que modeste, la misere vestimentaire qui est d'autant plus impres-sionnante parce que contrastant avec 1’ancien uniforme splendide du spahi Abdelkader; «La veste rouge et le voile blanc aux cordelettes noires don-naient grand air a 1'inconnu qui, dćsormais, occupa la pensee de Tessaadith.»391
Avec Isabelle Eberhardt on dćcouvre les relations patriarcales dans la tribu berbere par exemp!e (dans la nouvelle Sous le Joug):
Dans les durs travaux du mćnage bedouin au murmure ininterrompu et ber-ceur du lourd moulin a grain, Tessaadith attendit, en une passivite atavique, 1'heure de son mariage.
Avec des rejouissances sans ćcho dans son coeur effraye, on donna Tessaadith a un marchand d'Eloued, un vieux qu'elle ne connaissait pas. Le soir, paree, les femmes la menerent dans une chambre et la laisserent seule, pour le viol legał, en face d'un inconnu caduc et laid. [...] Des jours et des mois s'ecoulerent. Tessaadith, transportee en ville, dans une grandę maison dont une partie tombait en ruinę, avait pour seule compagne sa belle-mere, vieille creature sourde et gateuse, presque inexistante deja. Par devant, la maison s'ouvrait sur la place, et, par derriere, les pieces en ruinę touchaient a tout un quartier abandonne, de decombres et de silence.392
Encore une fois la description de 1’espace symbolise le personnage; 1'architecture tombee en ruinę, dćvastee, exprime le desespoir de 1'hćroTne de meme que son extreme dćpression qui rćsultent du statut social de la
3.1 Ibid., p. 179.
3.1 Ibid., p. 178.