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femme dans une tribu berbere; cette prćsentation de ia femme indigene dans laquelle des accents feministes resonnent, ne devra pas etonner le lecteur prevenu de 1'audace d'Eberhardt qui se permettait diverses provo-cations dans sa vie personnelle, ainsi que des provocations littćraires pour accentuer sa presence exceptionnelle dans la litterature.
Eberhardt s'applique a familiariser le lecteur avec des mots arabes, non seulement pour conferer une «couleur locale» et une vćracite plus frap-pante a ses textes, mais aussi pour accomplir sa mission de mediateur ou d'interprete des indigenes aupres des Europeens; a ce moment elle remplit, peut-etre de faęon inconsciente, un des postulats de 1'Algerianisme.
La fonction mathesique de la description eberhardtienne ne vise pas seulement a mettre le lecteur au courant des rapports coloniaux dans le Sud algerien, ou a le familiariser avec la vie sociale des autochtones en mettant un accent important sur le statut de la femme, elle a pour but d'exposer 1'amenagement indigene qui ne sert pas de simple decor, mais constitue une partie importante, dont la fonction cognitive est bien visible, des nouvelles d'Isabelle Eberhardt:
De petites rues tortueuses, bordees de maisons de platre caduques, coupees de ruines, avec parfois 1'ombre grele d'un dattier cheminant sur les choses, obeissant elles aussi a la lumiere, de petites places aboutissant a des voies silencieuses qui s'ouvraient brusquement, decevantes, sur 1'immensite incandescente du desert... Un bordj tout blanc, isolć dans le sable et de la terrasse duquel on voyait la houle infinie des dunes, avec, dans les creux profonds, le velours noir des dattiers... ęa et la, une armaturę de puits primitif, une grandę poutre dressee vers le ciel, inclinće, terminee par une corde, comme une ligne de pecheur geante... Dominant tout, au sommet de la colline, une grandę tour carree, d'une blancheur tranchant sur les transpa-rences ambiantes et qui scintillait au milieu du jour, aveuglante, gardant le soir leS derniers rayons rouges du couchant: le minaret de la zaouiya de Sidi Salem.
Alentour, caches dans les dunes, les villages esseules, tristes et caducs, dont les noms avaient pour Jacques une musique etrange : El-Bayada, Foum-SahheuYme, Oued-Allenda, Bir-Arair...393
L'ecrivain gardę aussi la toponymie originale, ce qui lui permet d'in-diquer des lieux bien precis de la colonie ffanęaise, evitant ainsi tout compromis resultant de 1'anonymat topographique qui facilite toutes sortes de silences sur le contexte colonial.
Eberhardt ne recule pas non plus devant la thematique probablement la plus attirante pour elle : l'Islam. Yasmina, 1'heroi'ne de la nouvelle ayant
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I. Eberhardt, Le Major, op. cit., pp. 158-159.