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conception de la colonisation comme une affaire de civilisation (Jean Dejeux relóve cette particularitó de ses idees sur la conąuete) : il montre une telle salete de 1’intćrieur qu'il pourrait seulement rivaliser avec les romans de Paul Bowles qui ouvertement joue sur les stereotypes; de nou-veau 1’opinion de Jean Dejeux s’impose : selon Randau «le colonisateur devait agir en vue de conduire la colonie vers l’age adulte.»m Nous voila a l’epoq\ie de 1’enfance profonde de cette race qui exigera probablement un effort ćnorme de la part des colonisateurs :
La salie de reception est menagee dans une cahute basse, qui perd son chaume; on y penćtre, en courbant 1’ćchine, par une porte naine; un enduit de boue noiratre couvre les murs, qui ont 1’aspect du fond culottć d’une vieille pipę et exhalent 1’odeur du chien mouille. Sur une table sans equilibre est ćtendue une nappe sale [...]. On leur presente ces rafraichissements dans des pots ou sumagent des cadavres de mouches; mecontent, le vieillard les peche du bout du doigt, souffle sur le liquide pour ecarter les poils de vache, lampę une gorgee ou deux et tend les vases a ses hótes. Assoiffes, ceux-ci absorbent goulument une boisson qui fleure le goudron et le beurre rance. Accroupi sur le sol, le mekhrazeni tete une peau de bouc de lait aigre.113
Observateur naturaliste (un des postulats esthetiques des Algeria-nistes), Randau dćcrit ce foyer d’une faęon qui pourrait horrifier le lecteur habituć a l’hygiene, pourtant, il ne perd pas de vue ses idees assimi-lationnistes en permettant & ses hótes d’apprecier 1’hospitalite du caTd. Dans les demiers chapitres du roman, le caid Ahmed Cheik reapparait, de nouveau en compagnie de Jos Kaddour; cette fois-ci, ils se refugient dans une cabane de berger a cause d’une pluie torrentielle, comme les oueds debordent ils vont passer la nuit dans ce refiige, allongćs l’un pres de 1’autre, mais cette familiaritć ne les empechera pas de conduire des tractations; d’ailleurs tel est le titre du chapitre. Au moment ou le caid ne veut pas cćder aux clauses imposees par Jos, celui-ci dit:
- D’accord. Puisque tu cherches a m’exploiter, je lacherai 1’affaire et te pour-suivrai en dommages-intćrets pour m’avoir escroquć; il y a aussi a Alger un Directeur des affaires indigenes qui n’aime pas du tout que les caids soient trop soigneux de leurs intórets. C’est cher, sais-tu, de contrecarrer les projets du vieux Kaddour. Je plaisantais (repond le caYd); ne nous disputons pas, mon fróre
1.2 J. Dćjeux, «Robert Randau», op. cit., p. 94.
1.3 R. Randau, Les Colons, op. cit., p. 124.
1.4 Ibid., p. 288.