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s'amuse tant qu'on peut. II est certes aussi des Arabes tres religieux, dont la nuit de Rhamadan, apres un repas tres frugal, se passe en mćditations et en prieres; comme il en est d'autres aussi qui continuent de s'amuser meme le jour; mais cela n'est frequent que dans les grandes villes qu'ont depravees les roumis; les Arabes sont a 1'ordinaire et presque tous tres scrupuleusement pratiquants.397
La fonction mathesique de la description y est evidente, en plus, Gide oppose les Arabes religieux aux «roumis depraves», donc aux chretiens qui sont loin d'etre aussi ardents dans leur foi que les Arabes. Bień sur 1'opinion de Gide sur la religion musulmane n'est pas fondee sur des don-nees scientifiques, mais certaines observations meme tres generales sont le resultat de plusieurs voyages de Gide en Afrique du Nord, trouvent donc leur confirmation dans l'experience et l'observation permanentes. Cependant Andre Gide
se veut voyageur desinteresse, reportant sur le nomadisme le dedain des contingences materielles qu'affichait le symbolisme; le voyage est donc un art, et rien d'utile ne doit s'y meler. [...] II semble que ce souci d'originalite se soit situe a un moment ou justement la sensibilite voyageuse etait en train d'evoluer. Les cliches de l'exotisme, encore tres repandus, commenęaient a faire place a une vision renouvelee de Petranger, mais “metropolocentriste”, qui s'efToręait de penetrer plus avant dans l'ame des peuples visites. [...] Le regard qu'il pose sur les pays etrangers, et plus specialement sur l'Algerie et ses habitants, est deja celui d'un homme qui, loin de se considerer comme un civilisć privilegie, s'efforce de donner une importance egale a l'existence des autres peuples, non pas pour abolir la distance qui le separe d'eux, mais pour mettre en evidence 1'originalite de chacun.398
Cette particularite du discours de voyage de Gide (portant sur 1’Afri-que du Nord) lequel se veut uniquement esthetique, evitant 1'application d'une grille de jugement de valeur, ne prive pas son texte de riches et mul-tiples descriptions instructives pour le lecteur. De plus, Gide, voyageur lucide et perspicace, evalue ses compatriotes-voyageurs :
Je n'ai jamais rencontre que deux sortes de Franęais en voyage (et la plupart du temps je n'en ai rencontre pas du tout); les interessants, qui s'isolent et ne perdent nulle part le sentiment qu'/7s ne sont pas chez eux\ les autres, ceux qui se groupent, tapageurs, communs, repugnants.
3,7 Ibid., p. 36.
J<MI P. Masson, Andre Gide voyage et ćcriture, op. cit., p. 15. JW A. Gide, Amyntas, op. cit., p. 175.