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D'apres Bertrand, 1'horreur de la sauvagerie correspond chez le Cardinal a la crainte de 1'Islam qui ne represente pour lui aucune valeur surę, au contraire la religion musulmane soutient la barbarie. Le Cardinal Lavigerie considere que le christianisme est la seule religion qui apporte la civilisation et l'ordre qui constituent pour le Cardinal deux qualites absolument inseparables. Ce qui peut etre surprenant dans le mandement
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cite par Bertrand, c'est la cooperation de 1’Eglise et de 1'Etat conforme-ment, d'apres le Cardinal, a la volonte de Dieu. La France est loin deja de la separation de 1'Eglise et de 1'Etat (la loi Combes a ete promulguee en 1905); rappelons ici que le premier signe du Ralliement (nom donnę a 1'orientation d'une partie des catholiques franęais, qui, sur les conseils du papę Leon XIII, ont reconnu la republique comme «le gouvemement actuel de leur Nation») fut le «toast» du Cardinal Lavigerie a Alger en 1890. Le territoire colonial exige une entente particuliere provoquee par l'ennemi commun qu'est 1'Arabe identifie a la religion musulmane; ainsi les deux objectifs : celui de naturę laique et 1'autre de naturę ecclesiastique, se confondent. La vision idyllique du barbare creee par la litterature est vivement critiquee par Lavigerie qui est surtout attentif a 1'imaginaire collectif des Franęais, lequel a ete alimente d'idees completement fausses selon le Cardinal:
Le Franęais moyen et sedentaire ne peut pas savoir, il n'a aucune idee du Barbare. Celui-ci est si habile a exploiter sa pitie, sa naTve scntimentalite humanitaire et surtout a profiter de son ignorance, ou de prejuges inextir-pables crees et entretenus par toute une litterature. Les romantiques, en cela, ont ete de grands coupables. [...] Les Hugo, les Gautier, les Loti nous ont invente un Orient qui n'a pour ainsi dire rien de commun avec le vrai et qui continue a obseder de pauvres cervelles afTolees d'exotisme. [...] Car 1'lslam ne peut admettre que lui. Pour 1'infidele, pas d'autre altemative que la conversion ou la mort. [...J Avec ce fanatisme inderacinable et conquerant, la stagnation pour ne pas dire la sterilite intellectuelle de 1'Islam, son mepris de 1'art et de la science.422
Les propos du Cardinal Lavigerie rompent avec 1'image de 1'Orient creee par 1'Occident, pour reprendre la formule de Said, qui s'y impose de faęon evidente; cette vision, d'apres le Cardinal, etait exclusivement nega-tive et elle n'a apporte que des ravages dans les esprits europeens assoiffes de fantasmes orientaux. Le discours du Cardinal suivi minutieusement par Louis Bertrand est d'une part la negation de 1'orientalisme compris comme une invenlion de 1'Europe, «depuis l'Antiquite lieu de fantaisie, plein 412 Ibid., pp. 81-92.