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miroir linguistique qui le transfigure et me renvoie 1'image de mimiques
etrangeres qui sont pourtant les miennes et ou je ne me reconnais pas.476
La connaissance de la langue de 1'Autre permet non seulement de mieux le connaitre, mais parler une autre langue correspond aussi a la decouverte d'un autre moi jusqu'ici enferme dans la carapace de la langue matemelle. Parlant la langue de l'Autre, je 1'imite, cet acte d'imiter pousse Ladmiral a le comparer au jeu theatral ou non seulement on doit ap-prendre le texte, mais on est oblige d'accepter toute la misę en scene propre au role. La connaissance de la culture de l'Autre et la possibilite de la traduire et de la saisir dans toute son alterite devra passer d'une maniere obligatoire par la maitrise des competences linguistiques. Le role du tra-ducteur devra consister a demeler, a relacher ce qui limite la communi-cation interculturelle ou meme ecarter des obstacles qui empechent de comprendre l'Autre, pour rappeler Karl Dedecius. Le traducteur apprend aux autres a ne pas privilegier ce qui appartient a sa culture par rapport a la culture reprćsentee par 1'Autre; la mission du traducteur doit etre fondee sur la conviction qu'il faut chercher une langue commune qui au lieu de separer de faęon conflictuelle sa patrie de 1'etranger, rapprochera le «meme» de «l'autre».477
Certainement, le nivellement des differences pourrait mener a 1'adoucis-sement des contours dont Segalen avait tellement horreur, mais une que-stion se pose : comment traduire le codę culturel de 1'Autre en un codę comprehensible pour les lecteurs de la version? Si l'on reste eloigne, com-me c'etait le cas de Segalen, le texte restera opaque et sans aucun interet pour un lecteur virtuel. Nous avons analyse 1'emploi du sabir dans Les Colons de Robert Randau, ce codę des inities en Afrique du Nord (et non seulement dans cette partie de l'Afrique) qui revelait, d'une part, l'alteritć du peuple algerien, ce melange des races et des cultures diverses, en rehaussant la couleur locale du roman, mais d'autre part il etait une dif-ficulte insurmontable pour le lecteur franęais qui etait, aussi bien quc le lecteur algerien, ou meme plus particulierement vise.
L'exemple d'Isabelle Eberhardt prouve que la matiere de 1'alterite est a maitriser; bien que 1'auteur s'y immerge completement, elle ne perd pas de vue le lecteur qui est confronte pendant la lecture de ses ecrits aux mots arabes qui ne genent pas pourtant la darte du texte; ces vocables s'y
474 J.-R. Ladmiral, E.M. Lipiansky, La communication interculturelle. Amiand Colin, 1991, pp. 21,83, 84.
477 K. Dedecius, Notatnik tłumacza, op. cit., pp. 73-74.