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trouvent glisses de faęon intelligente. Les auteurs de 1'edition des oeuvres completes d'Eberhardt ont etabli le lexique des mots arabes (en donnant a chaque mot sa juste transcription vu les graphies changeantes dans les manuscrits), ce qui relćve le cótć instructif de ces textes. Eberhardt semble avoir trouve la possibilite de garder intacte 1'alterite, tout en s'infiltrant dans le milieu autochtone, apprenant sa langue, respectant son modę de vie, attribuant a l'Autre son statut de personne. Ce type d'ecriture temoigne de la primaute de la relation interhumaine dont parle Emmanuel Lćvinas :
1'ordre du sens, qui me semble premier, est precisement celui qui nous vient de la relation interhumaine et que, des lors, le Visage, avec tout ce que l'ana-lyse peut reveler de sa signification, est le commencement de 1'intelligibilite. [...] Dans mon analyse, le Visage n'est pas du tout une formę plastique comme un portrait : le rapport au Visage est a la fois le rapport a 1'absolu-ment faible - a ce qui est absolument expose, ce qui est nu et ce qui est denue, c'est le rapport avec le denuement et par consequent avec ce qui est seul et peut subir le supremę esseulement qu'on appelle la mort; il y a par consequent dans le Visage d'Autrui toujours la mort d'Autrui et ainsi, en quelque manierę, incitation au meurtre, la tentation d'aller jusqu'au bout, de negliger completement autrui - et en meme temps, [...], et c’est ęa la chose paradoxale, le Visage est aussi le “Tu ne tueras point.” [...] Ce n'est pas du tout comme chez Martin Buber, quand je dis Tu a un Je, a un moi, j'aurais aussi d'apres Buber ce moi devant moi comme celui qui me dit Tu. II y aurait par consequent une relation reciproque. [...] Dans la relation au Visage, ce qui s'afTirme c'est l'asymetrie : au depart peu m’importe ce qu'autrui est a mon egard, c'est son affaire a lui; pour moi il est avant tout celui dont je suis responsable.478
La responsabilite de 1'Autre qui est imposee par le visage d'Autrui analysee par Levihas s'avere plus radicale que la pensee dialogique de Martin Buber pour qui le mot de base est compose d'une paire de deux vocables : Je - Tu, qui decide du caractere reciproque, symetrique de cette relation restant en opposition avec la relation asymetrique de Levinas. Pour Levinas, en un certain sens, tous les autres sont presents dans le visage d'autrui.
Le visage de l'Autre, dans 1'acception de Levinas, correspond ainsi a un defi a la responsabilite de celui qui le regarde, a un maximalisme ethique intransigeant mais asymetrique qui exige une vraie alterite de l'Autre, sa vraie hetćrogeneite. La relation «le meme»/«I'Autre» se trouve confrontee a une autre paire de termes «je»/«autrui» qui met en valeur le
E. Lćvinas, Entre nous. Essais sur le /fenser-a-1'autre, Grasset & Fasquellc, 1991, pp.113-115.
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