180
Outre cette aire litteraire abondant en romans, memoires ou joumaux intimes, il nous parait opportun d'ćvoquer ici le celebre et charmant roman d'aventures pour les jeunes W pustyni i w puszczy (Dans le desert et les forets vierges) de Henryk Sienkiewicz dont 1'action se passe en Afrique du Nord-Est et de l'Est a l'epoque du protectorat anglais en Egypte. Ce roman publie en 1911, donc au temps ou la Pologne n'existe pas encore en tant qu'etat independant, vehicule plusieurs stereotypes et cliches et surtout le stereotype de l'Arabe paresseux, perfide, bavard et cupide, etemel ennemi du Noir. Ce demier est continuellement pourchasse par le premier qui voudrait bien le vendre au marche comme esclave, tandis que 1'homme blanc n'en fait que son serviteur. Sur ce fond antithetique, un couple de jeunes heros et amis tres gentils : une petite filie anglaise, Nel, et un gar-ęon polonais, Staś, dont les peres ingenieurs, specialistes de la constru-ction, veillent a 1'entretien technique du canal de Suez, se montrent indul-gents pour les Noirs infantiles, spontanes et ouverts, mais mefiants vis-a-vis des Arabes dont ils sont les otages; ainsi leur crainte n'est pas tout a fait gratuite. Le personnage le plus pittoresque parmi les Noirs est un jeune garęon, Kali (ancien esclave d'Arabes, libere par le jeune Polonais), d'une naivete touchante, dont la bonte premiere pourrait concurren-cer seulement le mythe du bon sauvage. Le patemalisme a haute dose avec des accents racistes, la conviction de la mission civilisatrice accomplie par les Europeens, ce fardeau de ITiomme blanc a la Kipling dont nous avons deja parle, ne nous semblent pas moins accuses que dans le vrai roman colonial franęais dont les auteurs habitent la metropole ou bien une colonie franęaise.
Dans la preface du livre de Maria Czapska, Une familie d'Europe centrale, Philippe Aries rappelle 1'analogie faite par l'un des descendants des grandes familles, Aleksander Meyendorff, analogie qui conceme les proprietaires terriens des confins de 1'ancienne Pologne d'origine alleman-de ou polonaise, de confession protestante ou catholique, qui etaient mai-tres des paysans parlant la langue bielorusse ou des langues baltes dont la confession etait orthodoxe, protestante ou catholique, et les Franęais d'Al-gerie qui habitaient parmi les indigenes arabes et musulmans. Durant des siecles entiers, ces grands seigneurs polonais n'ont pas reussi a franchir la barriere qui les separait de ceux qui leur etaient soumis. Le dialogue s'est avere impossible.484 Cette comparaison nous incite a chercher des ressem-blances entre le roman colonial franęais et 1'ecriture polonaise portant sur
484
Voir Ph. Aries, Wstęp, [w:] M. Czapska, Europa w rodzinie, Res Publica, 1989, p. 7.