Souvenirs chapitre 12


Les Souvenirs  Chapitre 12 : Dieu rappelle ą Lui sa Louange de gloire
III. AU SEUIL DE L �TERNIT�
� L'amour a �t� ton principe et ton milieu ; il doit ętre aussi ta fin, et tu ne peux
vivre sans amour, vu qu'il est ta vie en ce monde et en l'autre ; car c'est moi, Dieu,
qui suis l'AMOUR .
Dialogue de Ste Catherine de Gęnes
CHAPITRE XII
Dieu rappelle ą Lui sa Louange de gloire
Saint Joseph, patron de la bonne mort - Retraite fortifiante - Le Caręme et saint Paul - La v�n�rable Marguerite du Saint-Sacrement -
Le dimanche des Rameaux - Saint abandon - Soudaine am�lioration - Lettres ą sa famille.
e 1er janvier 1906, dans le tirage des saints protecteurs de l'ann�e que nous faisons en r�cr�ation, saint
LJoseph �chut en partage ą sSur Elisabeth de la Trinit� ; elle en fut trŁs consol�e. � Saint Joseph est le
patron de la bonne mort, dit-elle, il vient me chercher pour me conduire au PŁre . Personne n'y crut, on
sourit męme de cette esp�rance qui la rendait toute joyeuse. Une sSur ancienne l'ayant aimablement reprise
de songer d�ją au repos de l'�ternit�, elle fit un petit signe qui confirmait son id�e, ou plut�t son intuition.
Au cours de ce męme mois, elle suivit avec la communaut� une retraite pręch�e par un religieux de la
Compagnie de J�sus, dont la gr�ce fut d'accro�tre encore la vigueur de sa volont� pour pleinement adh�rer ą
celle de Dieu ; elle �tait donc vraiment pręte ą entrer dans la voie douloureuse, ou mieux, ce viatique devait
Les Souvenirs  Chapitre 12 : Dieu rappelle ą Lui sa Louange de gloire
soutenir sa marche vaillante dans une voie d�ją ouverte ą la chŁre petite victime.
SSur Elisabeth de la Trinit� avouera plus tard qu'alors elle ressentait depuis plusieurs mois une fatigue
telle que, sans le secours de Dieu, elle e�t succomb�. Ainsi, avant d'ętre retir�e de l'office de portiŁre, il lui
avait �t� parfois difficile de presser le pas quand, un peu �loign�e, elle s'entendait appeler. Un jour entre
autres, se trouvant au bas d'un escalier lorsque la clochette retentit, il lui fallut un r�el effort pour en monter
le premier degr� ; elle n'en pouvait litt�ralement plus ; mais comme il est rapport� de nos anciennes MŁres, la
g�n�reuse enfant tirait force de ses infirmit�s : � Je puis tout en Celui qui me fortifie1 , disait-elle, et son
ext�rieur r�pondant ą ce grand courage, nul ne se serait dout� qu'elle f�t aussi fonciŁrement �branl�e. Celles-
lą męme qui lui prodiguaient leurs soins, justement pr�occup�es de son �tal de sant�, en ignoraient cependant
encore la gravit�, sSur Elisabeth de la Trinit�, dans la crainte d'exag�rer ses souffrances, att�nuant toujours
ses expressions dans l'expos� qu'elle devait en faire. D'ailleurs tout fut mis en Suvre pour son r�tablissement,
mais h�las ! on ne put triompher du mal.
Le matin aprŁs la r�citation des petites Heures , disait-elle, poursuivant ses aveux, � je me sentais
d�ją ą bout de forces et me demandais comment je pourrais arriver au soir. AprŁs Complies, ma
l�chet� �tait ą son comble, aussi ai-je eu parfois la tentation d'envier une sSur dispens�e de l'Office des
Matines.  Ne croyiez-vous pas manquer de simplicit� en ne disant pas tout ce que vous �prouviez,
interrompit la Prieure �mue de ces confidences ?  Ma MŁre, la pens�e que je devais vous en parler ne
m'est jamais venue ; vos soins, comme les exceptions auxquelles j'�tais soumise restant sans effet, je
voyais clairement la volont� de Dieu ; d'ailleurs je craignais toujours d'�couter la nature et de me
plaindre ; puis qu'auriez-vous pu faire de plus pour moi ? Quand vous me donniez un repos je n'en
n'�tais pas soulag�e : bris�e dans tout mon ętre, je ne trouvais ni position, ni sommeil profond, en sorte
que je n'aurais pu dire qui l'emportait du jour ou de la nuit, en fait d'accablement.
La priŁre �tait encore le meilleur remŁde ą mes maux. Je passais le temps du grand silence dans une
v�ritable agonie que j'unissais ą celle du divin Ma�tre, me tenant ą c�t� de Lui prŁs de la grille du
chSur. C'�tait une heure de pure souffrance, mais qui m'obtenait des forces pour Matines ; j'avais alors
une certaine facilit� ą m'appliquer ą Dieu ; ensuite, je retrouvais mes impuissances, et sans ętre aper�ue
gr�ce ą l'obscurit�, je regagnais tant bien que mal notre cellule, m'appuyant souvent au mur.
SSur Elisabeth de la Trinit�, ajoute sa MŁre Prieure, fut encore inspir�e de me confier certaines
particularit�s touchantes de sa vie ; je l'�coutais non sans �motion, et me rappelant le mot de l'Ap�tre : � O
profondeur des conseils divins ! j'admirais les voies de Dieu sur cette enfant si jeune et d�ją consomm�e
dans la vertu. Ainsi qu'elle le disait aprŁs sSur Th�rŁse de l'Enfant J�sus, bien des pages de son histoire ne se
liront qu'au ciel ; il en est męme qui ne sauraient ętre comprises ici-bas, tandis qu'�ternellement nous
chanterons les mis�ricordes du Seigneur2 sur ses �lus, voyant dans la lumiŁre de Dieu que ses volont�s ą
1
Ph IV, 13
2
LXXXVIII, 1
Les Souvenirs  Chapitre 12 : Dieu rappelle ą Lui sa Louange de gloire
notre �gard �taient toujours volont�s d'amour.
Seule avec le Seul, notre petite sSur s'�tait achemin�e vers son Calvaire oł il lui tardait de consommer
l'immolation supręme. N'�tait-elle pas depuis longtemps convi�e ą l'union plus intime que la souffrance
pr�pare ! Elle savait � qu'il y a des �changes d'amour qui ne se font que sur la croix . Tout la pressait donc
de s'y fixer.
En janvier 1906, elle �crit ą son saint ami :
Combien on sent le besoin de se sanctifier, de s'oublier pour ętre tout aux int�ręts de l'Eglise.
Pauvre France ! j'aime la couvrir du sang du Juste, de Celui qui est toujours vivant afin d'interc�der
pour nous3 et de demander mis�ricorde. Quelle est sublime la mission de la Carm�lite ! Elle doit ętre
m�diatrice avec J�sus-Christ, lui ętre comme une humanit� de surcro�t en laquelle Il puisse perp�tuer
sa vie de r�paration, de sacrifice, de louange et d'adoration. Oh ! demandez que je sois ą la hauteur de
ma vocation et que je n'abuse pas des gr�ces qu'il me prodigue. Comme parfois cela me fait peur !
Alors je me jette en Celui que saint Jean appelle le FidŁle, le V�ritable4, et je Le supplie d'ętre Lui-
męme ma fid�lit�.
Voilą les pens�es qui fortifiaient son �me pendant que ses forces physiques s'affaiblissaient
sensiblement. AprŁs avoir parl� de sa famille, sSur Elisabeth de la Trinit� termine ainsi sa lettre.
Regagnant notre cellule la nuit de No�l aprŁs la Messe, quelle joie paisible inondait mon �me,
lorsque, pensant aux souvenirs si doux du pass�, je me disais comme l'Ap�tre : � Pour son amour j'ai
tout perdu5 . Demandez-Lui que je me perde moi-męme pour m'ensevelir en Dieu. Le dimanche de
l'Epiphanie sera le troisiŁme anniversaire de mes noces avec l'Agneau, voulez-vous au saint Sacrifice,
en consacrant l'hostie oł J�sus s'incarne, consacrer aussi votre petite enfant ą l'Amour tout-puissant,
pour qu'il la transforme en Louange de gloire&
Au d�but du Caręme, sSur Elisabeth de la Trinit� �coute les projets de ses jeunes compagnes pour la
sainte Quarantaine, sans ętre attir�e ą contempler la Passion du Sauveur. Mais peut-elle demeurer dans son
mouvement habituel d'oraison ? En sa cellule, aprŁs la r�cr�ation, elle interroge saint Paul, et voici
qu'ouvrant au hasard ses chŁres �p�tres, le premier texte rencontr� est pr�cis�ment le cri passionn� du grand
Ap�tre : � Ce que je veux, c'est le conna�tre Lui, la communion ą ses souffrances et la conformit� ą sa
mort6 .
3
He VII, 25
4
Ap XIX, 11
5
Ph III, 8
6
Ph III, 10
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Elle est saisie par cette finale ; celui que na�vement elle nomme : � le pŁre de son �me , ne lui
annoncerait-il pas sa prochaine d�livrance ? Elle le croit, et acquiert bient�t la certitude d'ętre appel�e ą
honorer par �tat, plus encore que par de pieuses consid�rations, les souffrances et la mort de son divin
Ma�tre.
Vers le milieu du Caręme, les sympt�mes d'une grave maladie d'estomac se manifestŁrent, et, dans les
premiers jours qui suivirent la fęte de son saint protecteur, sSur Elisabeth de la Trinit� entra d�finitivement ą
l'infirmerie. Sa joie fut grande. � Je savais bien que saint Joseph viendrait me chercher cette ann�e, dit-elle,
et le voici d�ją .
Nous-męmes pressentions que, sans une intervention surnaturelle, nous allions perdre cette jeune
religieuse sur laquelle reposaient tant d'esp�rances. Aussi entrepr�mes-nous une vraie croisade de priŁres. Le
procŁs de b�atification de la v�n�rable Marguerite du Saint-Sacrement7 s'instruisait ą Rome : on d�sirait un
miracle �clatant pour son heureuse issue et nous esp�rions fixer le choix de la Servante de Dieu, nous
souvenant des faveurs divines obtenues par elle ą l'ancien Carmel de Dijon, au temps de ses communications
avec le saint Enfant J�sus. Une relique appliqu�e ą la chŁre malade ne devait plus la quitter, tandis que nous
multipliions les neuvaines.
Mais Dieu avait d'autres vues, et l'Epouse du saint Enfant J�sus se pencha sur sa petite sSur pour
l'entra�ner dans les voies de la souffrance qui devait imprimer en Elisabeth, comme en Marguerite, la
ressemblance du divin Crucifi�.
Nous le compr�mes en constatant les progrŁs du mal ; quant ą la chŁre enfant, consciente d'ętre l'objet
d'un inexprimable amour, elle �tait toute ą l'action de gr�ces. � Cette maladie me semble un peu myst�rieuse,
disait-elle ; je l'appelle la maladie de l'amour, car c'est lui qui me travaille et me consume. Je m'y livre, je
m'y abandonne, joyeuse ą l'avance de tout ce qu'il fera .
Le dimanche des Rameaux lui r�servait un puissant r�confort et une douce consolation : dans la soir�e,
une syncope aggrava subitement son �tat de faiblesse, nous songe�mes ą lui faire recevoir le sacrement de
l'Extręme-Onction. La crise �tait pass�e lorsque le prętre p�n�tra dans l'infirmerie. � Vous acceptez bien vos
souffrances, lui demanda-t-il ?  Oh ! oui, je suis heureuse de souffrir . Avec quelle pi�t� touchante elle
re�ut ce sacrement, comme une nouvelle cons�cration pour la douleur, dont la � dispensation divine allait
lui ętre si largement d�partie. Qu'elle �tait belle ą cette heure, le regard enflamm�, les mains jointes, serrant
7
Religieuse carm�lite de Beaune, 1619-1648. Elle fut particuliŁrement appliqu�e ą honorer les mystŁres de la sainte Enfance et de
la douloureuse Passion du Fils de Dieu qui la nommait sa � petite �pouse .
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le Christ de sa profession, et r�p�tant sans se lasser en de pieux transports : O Amour ! Amour ! Amour !8
Elle eut le bonheur de recevoir le saint Viatique, fait rendu plus touchant par la co�ncidence suivante :
il est rapport� dans la vie de sainte Th�rŁse � qu'elle se disposait d'une maniŁre particuliŁre ą sa communion
du dimanche des Rameaux, et cela, par une charmante d�licatesse ą l'�gard de son bon Ma�tre. Elle souffrait
de voir les Juifs de J�rusalem jeter sur ses pas les branches de palmier, sans qu'une seule demeure s'ouvr�t
pour lui offrir un repas et l'hospitalit� de la nuit. Elle le suivait du regard sur la route de B�thanie et, inquiŁte
de la fatigue du chemin, elle le conjurait de s'arręter dans son cSur et d'y prendre son repos9 .
SSur Elisabeth de la Trinit� partageait cette d�votion ; aussi, bien sensible lui avait �t�, au matin de ce
jour, la privation de la sainte communion ; mais comme elle fut d�dommag�e ! C'�tait ą l'heure tardive oł
Notre-Seigneur �tait venu demander ą ses amis de B�thanie compensation ą l'oubli de son peuple, qu'Il
venait reposer son cSur et son amour souffrant, en sa petite maison. Le lendemain, l'heureuse enfant ne
pouvait assez dire son bonheur.
� Depuis la fin de mars, je suis ą l'infirmerie, n'ayant plus d'autre office que d'aimer, �crira-t-elle. Au
soir des Rameaux, j'ai eu une trŁs forte crise et j'ai cru que l'heure �tait enfin arriv�e oł j'allais m'envoler
dans les r�gions infinies, pour contempler sans voile la Trinit� sainte. Dans le calme et le silence de cette
nuit, j'ai re�u l'Extręme-Onction et la visite de mon divin Ma�tre ; il me semblait qu'Il attendait cet instant
pour rompre mes liens. Quels jours ineffables j'ai pass�s dans l'attente de la grande vision ! Notre r�v�rende
MŁre �tait sans cesse ą mon chevet, me pr�parant ą la rencontre de l'Epoux, et dans mon d�sir d'aller ą Lui, je
trouvais qu'Il tardait bien ą venir. Qu'elle est suave et douce la mort, pour les �mes qui n'ont aim� que Lui et
qui, selon le langage de l'Ap�tre, � n'ont pas cherch� les choses visibles parce qu'elles sont passagŁres, mais
les invisibles parce qu'elles sont �ternelles !10 .
Ces jours ineffables furent pour sSur Elisabeth de la Trinit� une vraie mont�e du Calvaire ; de vives
douleurs, jointes ą son �tat g�n�ral d�ją fort p�nible, lui procurŁrent une participation plus intime au grand
mystŁre que nous c�l�brions. Absorb�e par la contemplation du � Christ douloureux , elle se tenait unie ą
Lui comme une douce victime, heureuse d'avoir �t� choisie pour l'immolation. Sa patience ne se d�mentit pas
un instant, son abandon fut parfait. Quand on lui apprit qu'une op�ration avait �t� d�cid�e � C'est cela ! dit-
elle, souriant un peu malicieusement : une op�ration... les m�decins ne parlent plus d'autre chose ; mais ils
peuvent faire de moi ce qu'ils voudront, je m'abandonne entre leurs mains comme entre les mains de Dieu .
Elle accueillit avec la męme simplicit�, quelques jours aprŁs, la d�cision contraire. Toute pass�e en Dieu,
8
� Que la mort est douce au Carmel, disait, en quittant la cl�ture, le ministre des mis�ricordes divines ! Si j'�tais plus jeune, je me
ferais religieux . Une lettre dans laquelle il confia plus tard ą Mme Catez ses impressions complŁte notre r�cit.
9
Histoire de sainte Th�rŁse d'aprŁs les Bollandistes, chap. XX
10
2 Co IV, 18
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pour ainsi dire, elle se maintenait dans une paix vraiment c�leste.
Au cours de la maladie, deux consultations furent demand�es par sa famille. � Pendant la d�lib�ration
des m�decins, disait-elle ensuite, j'�tais tout unie au divin Ma�tre devant les tribunaux, alors que les juges
d�lib�raient de sa vie ou de sa mort .
Cependant si violentes �taient ses douleurs et si profond son �puisement, que le Vendredi Saint nous
cr�mes qu'elle allait expirer ; gr�ce ą Dieu, nos craintes ne se r�alisŁrent pas. La nuit suivante, elle ressentit
comme un travail qui s'op�rait en elle ; ą l'aurore, une am�lioration sensible se produisit. Les infirmiŁres
retrouvŁrent, agenouill�e sur son lit, celle qui, depuis huit jours, �tait incapable d'aucun mouvement. SSur
Elisabeth de la Trinit� prit un peu de nourriture, alors que toute alimentation lui �tait devenue impossible, et,
se disant gu�rie, exprima le d�sir de descendre au chSur pour le grand office du Samedi Saint. Elle en e�t �t�
incapable, mais nous esp�rions la revoir bient�t au milieu de nous ; aussi quelle joyeuse action de gr�ces
exprimŁrent nos Alleluia ! Jamais nos fętes pascales ne furent marqu�es d'une plus vive all�gresse.
Cette joie, nulle ne la ressentit mieux que la pauvre mŁre, agenouill�e dans notre chapelle et remerciant
Dieu de lui avoir conserv� sa fille, qu'elle croyait ne plus revoir ici-bas.
Son dernier parloir avant le Caręme ne lui avait pas fait pressentir la grande �preuve si pręte ą fondre
sur elle. Sa chŁre enfant avait tenu ą lui laisser ignorer son r�el �tat de sant�, car, trŁs souffrante elle-męme,
Mme Catez avait eu besoin d'ętre m�nag�e. La sainte Quarantaine s'�tait donc �coul�e sans qu'on e�t os�
l'informer du progrŁs d'un mal qu'elle ignorait. Instruite le Lundi Saint du v�ritable �tat des choses, elle avait
puis� dans sa foi le courage r�clam� par la croix qui lui �tait pr�sent�e : croix rendue plus douloureuse
encore par l'impossibilit� de revoir sa fille bien-aim�e. Ses sentiments profond�ment chr�tiens lui dictŁrent
une lettre admirable, que sSur Elisabeth relut souvent et ą laquelle elle r�pondit par les lignes suivantes :
Ma chŁre maman, jamais je n'ai �t� si prŁs de toi ; ta lettre a �t� un repos pour mon cSur, une joie
pour mon �me ; je l'ai bais�e comme une relique, remerciant le bon Dieu de m'avoir donn� une si
incomparable mŁre. Si j'�tais partie pour le ciel, comme j'aurais v�cu avec toi ! Jamais je ne t'aurais
quitt�e, et je t'aurais fait sentir la pr�sence de ton Elisabeth.
� S�re d'ętre comprise, je t'avouerai tout bas ma grosse d�ception de n'ętre pas mont�e vers Celui
que j'aime tant : pense ce qu'aurait �t� pour ta fille ce jour de P�ques au ciel !... Mais c'�tait encore
personnel cela, et maintenant je suis toute ą l'ob�issance qui me fait demander ma gu�rison ; je le fais
en union de priŁres avec toi, Marguerite, et mes chers petits anges, que j'aurais aim� prot�ger si je
m'�tais envol�e.
� Si tu savais comme elle est bonne notre MŁre ; une vraie maman pour ta fille, et je t'assure que le
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soir de ma crise, malgr� ma joie d'aller ą Dieu, j'avais besoin d'entendre sa voix et de sentir ma main
dans la sienne, car tout de męme, ce moment est bien solennel : on se sent si petit, et les mains si
vides !
M. le chanoine A... luttait avec nous contre le ciel pour prolonger les jours de la sainte enfant qui,
r�pondant ą sa lettre paternelle, lui ouvre tout son cSur :
A vous qui avez toujours �t� mon confident, je sais que je puis tout dire ; la perspective d'aller voir
bient�t, en son ineffable beaut�, Celui que j'aime, et de m'ab�mer en la Trinit� sainte, me met une
jouissance immense dans l'�me. Oh ! qu'il m'en co�terait de revenir sur la terre, elle me para�t si vilaine
en sortant de mon beau ręve ; il n'y a qu'en Dieu que tout est pur et saint ; heureusement, dŁs l'exil,
nous pouvons d�ją demeurer en Lui ! Pourtant le bonheur de mon Ma�tre suffit pour faire le mien, et je
me livre ą Lui pour qu'Il fasse en moi tout ce qu'Il d�sire.
Puisque vous ętes son prętre, consacrez-moi ą Lui comme une petite hostie de louange qui veut le
glorifier au ciel ou sur la terre, dans la souffrance tant qu'Il voudra... Si je m'en vais, vous m'aiderez ą
sortir du purgatoire. Oh ! combien je sens qu'en moi tout est souill�, tout est misŁre ; j'ai bien besoin de
ma bonne MŁre pour en sortir. Chaque matin, elle vient faire son action de gr�ces prŁs de mon petit lit ;
je communie ainsi dans son �me, et le męme amour s'�coule dans l'�me de la mŁre et dans celle de son
enfant.
Je lui dis, car elle prie tant pour ma gu�rison, de me laisser partir, et je serai son ange au ciel ; pour
vous aussi, combien je prierai ; il me sera si doux de faire quelque chose pour mon cher Monsieur le
chanoine !
A Dieu ; qu'il fait bon vivre dans l'attente de l'Epoux ! Priez pour que je Lui donne tout dans la
souffrance oł Il me met, et que d�ją je ne vive plus que d'amour.
L'am�lioration de sSur Elisabeth de la Trinit� se soutenait ; mais trop faible encore et ne pouvant se
rendre au parloir, elle a recours ą sa plume pour d�dommager sa famille :
ChŁre maman, ta petite malade veut t'envoyer un mot du cSur, de ce cSur plein de tendresse pour
toi.
� Je sais que tu es souffrante, et ma bonne MŁre d'ici, sans cesse ą mon chevet, me tient au courant
de ta chŁre sant�. Tu ne peux t'imaginer les soins qu'elle me prodigue avec la tendresse, la d�licatesse
que renferme le cSur des mŁres ! Comme je suis heureuse dans la solitude de ma petite infirmerie !
Mon Ma�tre est lą avec moi, et nous vivons nuit et jour en un doux cSur ą cSur. J'appr�cie davantage
mon bonheur d'ętre Carm�lite, et je prie Dieu pour la chŁre maman qui m'a donn�e ą Lui. Depuis cette
maladie, je me suis encore rapproch�e du ciel ; un jour, je te dirai tout cela.
O maman ! pr�parons notre �ternit� ; vivons avec Lui, car seul, Il peut nous suivre et nous aider dans
Les Souvenirs  Chapitre 12 : Dieu rappelle ą Lui sa Louange de gloire
ce grand passage ; Il est un Dieu d'amour ; nous ne savons pas comprendre ą quel point Il nous aime,
surtout quand Il nous �prouve.
Redoutant pour sa mŁre une �motion trop vive, elle n'exprime pas toute sa pens�e ; mais se livre
pleinement ą sa sSur :
Je ne sais si l'heure est venue de passer de ce monde ą mon PŁre car je vais bien mieux, et la petite
Sainte de Beaune semble vouloir me gu�rir. Mais parfois il me semble que l'Aigle divin veut fondre sur
sa petite proie pour l'emporter lą oł il est, dans la lumiŁre �blouissante.
Tu as toujours su t'oublier pour le bonheur de ton Elisabeth, et je suis s�re que si je m'envole, tu
sauras te r�jouir de ma premiŁre rencontre avec la Beaut� divine. Quand le voile tombera, avec quel
bonheur je m'�coulerai jusque dans le secret de sa Face. C'est lą que je passerai mon �ternit�, au sein
de cette Trinit� qui est d�ją ma demeure ici-bas.
Pense donc ! Marguerite, contempler dans sa lumiŁre les splendeurs de l'Etre divin, scruter toutes les
profondeurs de son mystŁre, ętre fondue avec Celui qu'on aime, chanter sans repos sa gloire et son
amour, ętre semblable ą Lui, parce qu'on Le voit tel qu'il est11 ! ...
Petite sSur, je serai heureuse d'aller lą-haut pour ętre ton ange, et je serai jalouse de la beaut� de ton
�me, d�ją tant aim�e sur la terre !
Je te laisse ma d�votion pour � les Trois ; vis au dedans avec eux dans le ciel de ton �me ; le PŁre
te couvrira de son ombre, mettant comme une nu�e entre toi et les choses de la terre, pour te garder
toute sienne ; Il te communiquera sa puissance pour que tu l'aimes d'un amour fort comme la mort. Le
Verbe imprimera en ton �me, ainsi qu'en un cristal, l'image de sa propre beaut�, afin que tu sois pure de
sa puret�, lumineuse de sa lumiŁre. L'Esprit Saint te transformera en une lyre mystique ; le silence,
sous sa touche divine, produira un magnifique cantique ą l'Amour ; alors tu seras la louange de sa
gloire, ce que j'avais ręv� d'ętre sur la terre ; c'est toi qui me remplaceras ; je serai Laudem gloriae
devant le tr�ne de l'Agneau, et toi Laudem gloriae au centre de ton �me : ce sera �ternellement l'un
entre nous.
Crois toujours ą l'amour ; si tu as ą souffrir, c'est que tu es plus aim�e encore, aime et chante toujours
merci.
Apprends aux petites ą vivre sous le regard de Dieu : j'aimerais qu'Elisabeth e�t ma d�votion ą la
Sainte Trinit�. Je serai ą leur premiŁre communion ; je t'aiderai ą les pr�parer.
Tu prieras pour moi. J'ai offens� mon Ma�tre plus que tu ne crois ; mais surtout dis-Lui merci, un
Gloria tous les jours. Pardon, je t'ai donn� souvent le mauvais exemple.
A Dieu ! Comme je t'aime ! Peut-ętre irai-je bient�t me perdre dans le foyer d'amour ; qu'importe :
au ciel ou sur la terre, vivons dans l'amour et pour glorifier l'Amour...
11
1 Jn III, 2
Les Souvenirs  Chapitre 12 : Dieu rappelle ą Lui sa Louange de gloire
SSur Elisabeth de la Trinit� disait vrai, l'Aigle divin allait fondre sur � sa proie , pour l'emporter au
sein de l'�ternelle lumiŁre. Marguerite du Saint-Sacrement n'acheva pas l Suvre commenc�e ; elle avait
t�moign� s'int�resser ą notre cause en �cartant toute id�e d'op�ration, mais n'�tait-il pas meilleur ą notre
petite sSur de h�ter sa course vers le but de ses ardents d�sirs !...
Dans le courant de mai, une nouvelle crise mit ses jours en danger :
� De nouveau, le ciel a sembl� s'ouvrir, �crira-t-elle, et vous avez si bien pri� que je suis toujours
captive, mais une heureuse captive qui, dans le fond de son �me, exalte nuit et jour l'amour de son
Seigneur. Il est si bon ! On dirait qu'Il n'a qu'ą penser ą moi, ą n'aimer que moi, tant Il se donne ą mon
�me ; c'est pour qu'ą mon tour, je me livre ą Lui pour son Eglise, pour ses int�ręts, pour que j'aie soin
de son honneur comme ma sainte MŁre Th�rŁse. Oh ! demandez que je sois aussi : � Charitatis
Victima12 .
12
Hymne de l'office de sainte Th�rŁse.


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