Les Souvenirs Chapitre 7 : Le noviciat
CHAPITRE VII
Le noviciat
« La nuit obscure - Les fruits de l'épreuve - Le secret du bonheur - Retraite de profession - Epouse du Christ - Programme de
sainteté - Le ciel dans l'âme.
ux radieuses clartés du postulat, succédÅrent, pour sSur Elisabeth de la Trinité, les ténÅbres d'une nuit
Aprofonde, auxquelles ne tardÅrent pas Ä… s'ajouter des inquiétudes, des peines d'esprit, d'étranges
fantômes de l'imagination : toutes choses dont parle saint Jean de la Croix, en la seiziÅme strophe de son
Cantique spirituel : « Le démon, témoin du bonheur de l'âme et méchamment jaloux des trésors qu'il
découvre en elle, emploie toute sa perfidie et met en Suvre tous ses artifices pour la troubler et lui ravir, si
peu que ce soit, du bien dont elle jouit. Il semble préférable Ä… cet esprit maudit de priver de quelques degrés
de gloire, de bonheur et de richesses spirituelles une âme parvenue Ä… cet état, que d'en précipiter une foule
d'autres dans un abîme de crimes énormes .
Nous ne saurions dire ce que souffrit alors cette innocente enfant, naguÅre établie dans une paix qui
paraissait inaltérable. Qu'elle était édifiante, exposant avec candeur et simplicité des états d'autant plus
humiliants que le moindre coup d'aile semblait devoir suffire Ä… l'en délivrer, d'autant plus douloureux qu'ils
étaient opposés Ä… tout ce qu'elle avait expérimenté jusque lÄ…, comme Ä… sa vie d'oraison.
La foi, l'obéissance aveugle qui la conduisaient Ä… sa Prieure lui faisaient trouver force et paix dans ces
ouvertures, en mÄ™me temps qu'elles donnaient toute facilité de seconder l'action divine dans le travail
poursuivi sous le feu de l'épreuve.
AprÅs six mois passés de la sorte, la pauvre novice attendait sa délivrance d'une retraite qui devait nous
Ä™tre donnée en octobre par le R. P. V..., alors exilé loin de Dijon ; mais elle n'y trouva qu'un surcroît de
souffrances, dans l'impossibilité oÅ‚ elle était actuellement de goûter ces choses dont elle avait tant vécu. Ce
qu'elle recevait jadis avec d'ineffables jouissances, semblait alors accroître les ténÅbres de sa douloureuse
nuit, en sorte que ces huit jours furent une véritable agonie. Son âme désolée s'abreuva pleinement au calice
amer de la souffrance et de l'humiliation, sans toutefois l'épuiser. Trois mois encore devaient achever l Suvre
entreprise par l'amour.
TrÅs bien douée pour notre vie, on peut dire que sSur Elisabeth y était pleinement entrée ; pourtant,
nous ne voulons pas prétendre qu'elle fût déjÄ… parfaite ; elle avait non seulement Ä… faire des progrÅs, mais Ä…
subir une transformation que nous vîmes s'opérer en cette longue et pénible année. Il fallait que la jeune fille
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fonciÅrement chrétienne devint la Carmélite telle que notre séraphique MÅre désire la rencontrer en ses filles.
Humble et modeste assurément, il lui était bon cependant de prendre conscience de l'impuissance
humaine. Elle avait connu certaines révoltes de la nature, en avait ignoré d'autres ; ayant triomphé de toutes
les difficultés par les efforts de sa volonté comme par ses grâces d'oraison, elle s'étonnait parfois de
pressentir certains états moins délivrés, et sans en avoir conscience, elle aurait pu prendre en elle-mÄ™me
quelque secrÅte complaisance ou se laisser aller Ä… quelque sévérité de jugement. On l'avait mise en garde, il
est vrai, contre ces subtilités de l'amour-propre, mais « que sait l'homme qui n'a pas été tenté1 ? A l'école de
l'épreuve, sSur Elisabeth devait acquérir plus rapidement cette connaissance de soi-mÄ™me qui n'est pas
moins la base que la perfection de l'humilité. Dieu se servait de la tentation pour éclairer l'abîme de son néant
et mettre sa propre gloire en assurance dans cette âme, qu'il voulait combler des richesses de sa grâce. Ainsi
permet-il que « le démon soulÅve parfois, dans la partie sensible, bien des agitations ; qu il suscite Ä… l'âme
mille tracasseries spirituelles ou sensibles, dont elle n'a pas la possibilité de s'affranchir, tant que Dieu
n'envoie pas autour d'elle l'ange qui protÅge et délivre ceux qui le craignent2 .
Le messager céleste apportait, en effet, quelque trÄ™ve Ä… cet état pénible, faisant régner la paix et la
tranquillité « tout Ä… la fois dans la partie sensible et dans la partie spirituelle de l'âme3 . Les heures de la
priÅre amenaient généralement une détente pour la chÅre novice, bien qu'elles s'écoulassent sans
consolation ; mais son mouvement d'oraison si simple et rendu plus profond encore par des accroissements
de foi, la gardait toujours dans l'attitude du petit enfant reposant entre les bras de Celui qu'elle aimait sans le
sentir, en qui elle croyait sans le voir, et dont l'amour restait son assurance, encore qu'elle n'éprouvât que les
rigueurs de ses divines jalousies.
Ses efforts pour se maintenir tout le jour dans ce mouvement de recueillement au fond d'elle-męme, en
dépit du tumulte de l'imagination et de la sensibilité, lui faisaient trouver un secours dans ses peines et la
maintenaient en vue des mÄ™mes horizons ; aussi nul autour d'elle ne put soupçonner ses souffrances intimes.
Les lettres d'alors montrent le mÄ™me fond, toujours éclairé par la lumiÅre de foi, grandissant Ä… la faveur des
ténÅbres qui l'enveloppaient.
Au mois d'août, elle célÅbre dans l'action de grâce le premier anniversaire de son entrée au Carmel.
Comme le temps passe vite en Lui ! Il y a un an qu'Il m'a introduite en l'arche bénie, et maintenant,
comme dit mon bienheureux PÅre saint Jean de la Croix en son Cantique : « La tourterelle a trouvé, sur
les rives verdoyantes, son compagnon tant désiré .
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Sir XXXIV, 9
2
Cantique spirituel, strophe XVI
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Cantique spirituel, strophe XVI
Les Souvenirs Chapitre 7 : Le noviciat
Oui, je l'ai trouvé Celui qu'aime mon âme, cet unique nécessaire que nul ne peut me ravir. Oh ! qu'il
est bon ! qu'il est beau ! Je voudrais Ä™tre toute silencieuse, tout adorante, afin de pénétrer toujours plus
en Lui, et d'en Ä™tre si pleine que je puisse le donner par la priÅre Ä… ces pauvres âmes ignorantes du don
de Dieu.
Je sais que chaque jour, Ä… la sainte Messe, vous priez pour moi. Oh ! mettez-moi dans le calice, afin
que mon âme, baignée dans ce sang de mon Christ dont j'ai soif, devienne toute pure, toute
transparente pour que la Trinité puisse s'y réfléchir comme en un cristal ; elle aime tant contempler sa
beauté dans une âme ; cela l'attire Ä… se donner plus, Ä… venir plus comblante, afin d'opérer le grand
mystÅre d'amour et d'unité.
Demandez Ä… Dieu que je vive pleinement ma vie de Carmélite, de fiancée du Christ ; cela suppose
des unions si profondes ! Pourquoi m'a-t-il tant aimée ? Je me sens toute petite et pleine de misÅre ;
mais je l'aime, je ne sais faire que cela. Je l'aime avec son amour Ä… Lui ; c'est un double courant entre
« Celui qui est et celle qui n'est pas .
Le double courant, ou plutôt le double abîme, comme parle sainte Catherine de Sienne, s'était révélé Ä…
sSur Elisabeth de la Trinité en cette rude année de probation ; aussi nous paraissait-elle établie dans
l'humilité. Sa foi et sa volonté avaient également bénéficié de l'épreuve : perfectionnées par la souffrance,
elles équilibraient toujours plus un fonds de tendresse dont la sensibilité aurait pu diminuer les richesses. Les
conseils qu'elle donna plus tard Ä… une personne éprouvée par des peines intérieures, fruits d'une expérience
personnelle, révÅlent sa propre conduite dans la phase douloureuse que nous venons d'esquisser.
Je crois que le secret de la paix, du bonheur est dans l'oubli, la désoccupation de soi-mÄ™me, ce qui ne
consiste pas Ä… ne plus sentir ses misÅres physiques et morales.
Puisque vous me permettez de vous parler comme Ä… une sSur, je vous le dis tout simplement, il me
semble que le bon Dieu vous demande un abandon et une confiance sans limites. A ces heures pénibles
oÅ‚ vous sentez ces vides affreux, pensez qu'il creuse en votre âme des capacités plus grandes pour le
recevoir, c'est-Ä…-dire, en quelque sorte, infinies comme Lui-mÄ™me ; tâchez alors d'Ä™tre, par la volonté,
toute joyeuse sous la main qui vous crucifie ; je dirai męme, regardez chaque souffrance comme une
preuve d'amour qui vous vient directement du bon Dieu pour vous unir Ä… Lui. Lorsque le poids du
corps se fait sentir et fatigue votre âme, ne vous découragez pas ; mais allez par la foi et l'amour Ä…
Celui qui a dit : « Venez Ä… moi et je vous soulagerai4 . Pour ce qui regarde le moral, ne vous laissez
jamais abattre par la pensée de vos misÅres. Le grand saint Paul dit : « OÅ‚ le péché abonde la grâce
surabonde5 ; donc il me semble que l'âme la plus faible, mÄ™me la plus coupable, est celle qui a le plus
lieu d'espérer. Et cet acte qu'elle fait pour s'oublier et se jeter dans les bras de Dieu, le glorifie plus que
tous les retours sur elle-mÄ™me et tous les examens qui la font vivre avec ses infirmités, tandis qu'elle
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Mat XI, 28
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Rm V, 20
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possÅde au centre d'elle-mÄ™me un Sauveur qui veut Ä… toute minute la purifier.
Vous souvenez-vous de cette belle page oÅ‚ Jésus dit Ä… son PÅre qu'Il lui a donné puissance sur toute
chair, afin de lui communiquer la vie éternelle6 ? VoilÄ… ce qu'il désire faire en nous : Il veut que vous
sortiez de vous, que vous quittiez toute préoccupation pour vous retirer en cette solitude qu'Il se choisit
au fond de votre cSur. Il est toujours lÄ…, encore que vous ne le sentiez pas ; Il vous attend et veut
établir avec vous un « admirable commerce , comme il est dit en la liturgie ; une intimité d'époux et
d'épouse. C'est Lui qui, par ce contact continuel, veut vous délivrer de vos infirmités et de vos fautes,
de tout ce qui vous trouble ; rien ne doit nous ętre un obstacle pour aller ą Lui.
Que vous soyez enflammée ou découragée, n'en tenez pas compte ; c'est la loi de l'exil de passer
ainsi d'un état Ä… l'autre ; croyez alors que Lui ne change pas ; qu'en sa bonté, Il est toujours penché sur
vous pour vous emporter et vous établir en Lui. Si malgré tout, le vide, la tristesse vous accablent,
unissez cette agonie Ä… celle du divin Maître au jardin des Oliviers, alors qu'Il disait Ä… son PÅre : « S'il
est possible, faites que ce calice s'éloigne de moi7 . Il vous paraît peut-Ä™tre difficile de vous oublier,
ne vous en préoccupez pas ; si vous saviez comme c'est simple. Je vais vous donner mon secret :
Pensez ą ce Dieu qui habite en vous, dont vous ętes le temple : c'est saint Paul qui parle, nous pouvons
le croire. Petit Ä… petit, l'âme s'habitue Ä… vivre en sa douce compagnie ; elle comprend qu'elle porte en
elle un petit ciel oÅ‚ le Dieu d'amour a fixé sa demeure ; alors elle respire comme en une atmosphÅre
divine ; je dirai mÄ™me que son corps seul est sur la terre ; son âme habite au delÄ… des voiles, en Celui
qui est l'Immuable.
Ne dites pas que ce n'est pas pour vous, que vous Ä™tes trop misérable, car c'est, au contraire, une
raison de plus pour aller Ä… Celui qui sauve. Ce n'est pas en regardant cette misÅre que nous serons
purifiés, mais en regardant Celui qui est toute pureté et sainteté.
Aux heures plus douloureuses, pensez que le divin Artiste, pour rendre son Suvre plus belle, se sert
du ciseau, et demeurez en paix sous la main qui vous travaille. Saint Paul, aprÅs avoir été ravi au
troisiÅme ciel, sentait son infirmité et s'en plaignait Ä… Dieu, qui lui répondit : « Ma grâce te suffit, car
la force se perfectionne dans l'infirmité8 . VoilÄ…, n'est-ce pas, qui est bien consolant. Courage donc !
Je vous confie tout particuliÅrement Ä… une petite Carmélite de Lisieux, morte Ä… 24 ans en odeur de
sainteté ; elle se nomme sSur ThérÅse de l'Enfant Jésus9 ; sa grâce est de dilater les âmes, de les lancer
sur les flots de l'amour, de la confiance et de l'abandon. Elle dit avoir trouvé le bonheur quand elle
commença Ä… s'oublier. Voulez-vous la prier tous les jours avec moi, afin d'obtenir cette science qui fait
les saints et donne Ä… l'âme tant de paix et de bonheur.
La virilité morale acquise par la chÅre novice influa heureusement sur ses forces physiques ; son
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Jn XVII, 2
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Mat XXVI, 39
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2 Co XII, 9
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Appelée par les vSux de ceux qui connaissent l'Histoire d'une âme, et préparée par des faveurs signalées, la cause de la
Servante de Dieu est sur le point d'ętre introduite en cour de Rome.
Les Souvenirs Chapitre 7 : Le noviciat
tempérament, quelque peu éprouvé tout d'abord, se reconstitua dans la paix. Il s'adaptait mieux chaque jour Ä…
l'observance de notre RÅgle austÅre ; l'âme entraînait vraiment le corps, et l'on pouvait présumer qu'il en
serait toujours ainsi : notre petite sSur fut donc admise par le Chapitre Ä… la grâce de la sainte profession.
Quelle joie pour son cSur qui désirait si ardemment cette consécration définitive Ä… l'Epoux des vierges !
L'Enfant Dieu réservait Ä… mon âme un immense bonheur, écrit-elle au soir du 25 décembre 1902 ; en
cette belle fÄ™te de la Nativité, Il m'a dit qu'Il allait venir comme Epoux ! Le dimanche de 1'Epiphanie,
Il me fera sa Reine... me liant Ä… Lui par la profession religieuse.
Et Ä… M. le chanoine A... :
L'Epoux m'a fait entendre son appel, et le 11 janvier, fÄ™te toute de lumiÅre et d'adoration, je
prononcerai les vSux qui m'uniront Ä… jamais Ä… Notre-Seigneur. Vous qui m'avez suivie depuis mon
enfance et avez reçu mes premiÅres confidences, vous pouvez comprendre le bonheur dont mon âme
est inondée ! Ce soir, Ä… la récréation, j'ai demandé les priÅres de ma chÅre communauté, et demain
commencera ma retraite de dix jours ; cela me semble un rÄ™ve, je l'ai tant désiré ! Voulez-vous, chaque
matin, me donner une intention toute particuliÅre Ä… la sainte Messe, c'est quelque chose de si grand qui
se prépare ! Je me sens enveloppée dans le mystÅre de la charité de Dieu et, lorsque je regarde en
arriÅre, je vois comme une divine poursuite sur mon âme. Oh ! que d'amour ! Je suis écrasée sous ce
poids ; alors je me tais et j'adore.
En cette matinée de l'Epiphanie, la plus belle de ma vie, quoique le bon Maître m'ait déjÄ… fait passer
par des jours si divins qu'ils ressemblent Ä… ceux du paradis, en ce jour oÅ‚ vont se réaliser tous mes
désirs, oÅ‚ je vais devenir enfin « Epouse du Christ , voulez-vous, cher Monsieur le chanoine, offrir le
saint Sacrifice pour votre Carmélite ; puis donnez-la, afin qu'elle soit toute prise et qu'elle puisse dire
avec saint Paul : « Je ne vis plus, c'est le Christ qui vit en moi10 .
Ai-je besoin de vous dire quelle sera ma priÅre pour vous ? Vous connaissez mon cSur... Je vous
quitte pour entrer avec l'Epoux en des silences profonds.
Commencée dans la joie, cette retraite se poursuivit dans une recrudescence de tortures intimes telles,
que la veille du grand jour, la pauvre novice était au comble de l'angoisse. Un entretien ménagé avec un
religieux prudent et éclairé la réconforta vers le soir.
Le lendemain matin, elle gravissait les degrés conduisant Ä… la salle du Chapitre, toute saisie par l'idée
d'immolation qu'exprimait en ce jour le capitule des VÄ™pres : « Mes frÅres, je vous conjure par la
miséricorde de Dieu, de Lui offrir vos corps comme d'un hostie vivante, sainte, agréable Ä… Dieu capable
d un culte spirituel11 . En cet esprit, elle prononça les saints vSux de pauvreté, chasteté, obéissance qui la
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Ga II, 20
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Rm XII, 1
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consacraient enfin Epouse du Christ.
Quelle solennité aurait pu mieux convenir Ä… la célébration des noces mystiques de cette enfant sur
laquelle s'était levée « la gloire du Seigneur ? La liturgie, ce jour-lÄ…, chantait en ses divers cantiques son
histoire et sa vocation. Prévenue par la lumiÅre divine, elle aussi, malgré l'éclipse momentanée de l'étoile,
avait courageusement persévéré dans la recherche du Seigneur ; elle aussi, ouvrant ses trésors, lui offrait l'or
d'un cSur pur, l'encens d'une vie toute d'oraison, la myrrhe du sacrifice de toutes choses et d'elle-męme.
La sainte Eglise célébrait encore, en ce dimanche de l'Epiphanie, la manifestation de la Sainte Trinité
dans le baptÄ™me de Jésus-Christ. SSur Elisabeth, qui par sa profession scellait une alliance particuliÅre avec
les trois divines Personnes, n'était venue au Carmel que pour écouter Celui en qui le PÅre met toutes ses
complaisances. Et nous lisions au Graduel « Béni le Seigneur, le Dieu d'Israël qui seul opÅre de telles
merveilles ! Que les montagnes de votre peuple soient visitées par la paix ! Alléluia ! Alléluia !... Le Roi
pacifique répondit, en effet, au don plénier de la généreuse enfant, mettant fin Ä… sa longue épreuve, et tout
s'acheva dans l'action de grâce.
Qui pourrait dire la joie de mon âme, écrivait-elle quelques jours plus tard, lorsque contemplant le
Christ reçu aprÅs ma profession et placé par notre Révérende MÅre « comme un sceau sur mon cSur ,
j'ai pu me dire : enfin Il est tout Ä… moi et je suis toute Ä… Lui, Il m'est tout ! Et maintenant, je n'ai plus
qu'un désir : l'aimer, l'aimer tout le temps, « zéler son honneur comme une véritable épouse , Lui
offrir une demeure, un abri dans mon âme, et Lui faire oublier lÄ…, Ä… force d'amour, tout ce que les
mauvais font d'abominations.
Et dans une autre lettre :
Ma joie est profonde, divine ; elle est de celles qui ne peuvent s'exprimer. Oh ! remerciez pour moi,
ma part est si belle ! Toute une vie Ä… passer dans le silence, l'adoration, le cSur Ä… cSur avec l'Epoux
divin ! Demandez que je sois fidÅle, que j'aille jusqu'au bout de ses desseins sur mon âme, que
j'accomplisse pleinement tous ses vouloirs.
Sa prise de voile eut lieu le 21 janvier, jour « tout embaumé de la virginité d'AgnÅs et de sa glorieuse
immolation , double attrait d'une âme en qui s'unissaient deux vertus dont l'alliance est le trait particulier de
la beauté du christianisme : l'innocence et la pénitence.
Le soir, Ä… la récréation, sSur Elisabeth exprimait son bonheur et sa reconnaissance en quelques
strophes commençant ainsi :
Les Souvenirs Chapitre 7 : Le noviciat
« Dans un secret profond je vais m'ensevelir,
Ensevelie en Dieu je vais vivre et mourir,
O mon Verbe adoré, ton amour est ma vie,
Laisse-moi me plonger en ta paix infinie .
Ces vers, ainsi que les lignes suivantes adressées Ä… la Révérende MÅre Prieure du Carmel de Paray-le-
Monial, sont comme le programme de cette vie religieuse, si courte et si bien remplie.
Ma bonne MÅre, priez un peu pour que la petite « Maison de Dieu soit tout envahie par « les
Trois . Je suis partie dans l'âme de mon Christ, et c'est lÄ… que je vais passer mon carÄ™me. Demandez-
Lui que je ne vive plus, mais qu'Il vive en moi ; que l'union se consomme chaque jour davantage, que
je reste sous la grande vision ; il me semble que c'est le secret de la sainteté, et c'est si simple. Oh !
dire que nous avons notre ciel en nous, ce ciel dont parfois j'ai la nostalgie. Que ce sera bon quand le
voile tombera enfin et que nous jouirons du face-Ä…-face avec Celui que nous aimons uniquement ! En
attendant, je vis dans l'amour, je m'y plonge, je m'y perds ; c'est l'infini, cet infini dont mon âme est
affamée.
FidÅle Ä… son programme, Elisabeth devait rapidement atteindre la perfection Ä… laquelle l'appelait le
divin Maître ; c'est qu'elle avait trouvé le secret de la sainteté. L'excÅs de la charité divine lui étant apparu,
elle s'était fixée sous cette lumiÅre qui ne devait plus s'éclipser.
Un mot résume ma vie, disait-elle, on pourrait l'écrire sur tous mes instants ; c'était aussi la vie de
saint Paul : Propter nimiam charitatem12. Tout ce qui vient Ä… moi est message ou assurance du trop
grand amour de Dieu ; je ne puis plus vivre d'autre chose.
Pour atteindre Ä… la vie idéale de l'âme, je crois qu'il faut vivre dans le surnaturel, prendre conscience
que Dieu est au plus intime de nous et aller ą tout avec Lui ; alors on n'est jamais banal, męme en
faisant les actions les plus ordinaires, car on ne vit pas en ces choses, on les dépasse. Une âme
surnaturelle ne traite pas avec les causes secondes, mais avec Dieu seulement. Oh ! comme sa vie est
simplifiée ! Comme elle se rapproche de la vie des esprits bienheureux ! Comme cette âme est
affranchie d'elle-mÄ™me et de toutes choses ! Pour elle, tout se réduit Ä… l'unité, Ä… cet unique nécessaire
dont parlait le divin Maître Ä… Madeleine. Alors elle est vraiment grande, vraiment libre, parce qu'elle a
« enclos sa volonté dans celle de Dieu , dit un auteur mystique.
SSur Elisabeth se livre Ä… son insu. « Cette vie idéale était la sienne, et nous devions la voir s'y
plonger chaque jour davantage, jusqu'Ä… ce qu'elle passât des obscurités de la foi en ces régions toutes de paix,
de lumiÅre et d'amour, oÅ‚ l'on contemple Dieu dans un éternel face-Ä…-face.
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Eph II, 4
Les Souvenirs Chapitre 7 : Le noviciat
Elle pouvait écrire :
Je commence déjÄ… mon ciel, mais parfois j'aimerais me trouver de l'autre côté pour le voir, Lui, pour
l'aimer et pour me perdre en son infini. Oh ! toi dont le cSur est si ardent, ne comprends-tu pas ce
qu'est l'amour, quand il s'agit de Celui qui nous a tant aimés ?
Au confident de la premiÅre heure, elle communiquait ainsi ses impressions au cours de l'été 1903.
Depuis ma derniÅre lettre, que de choses se sont passées ! La sainte Eglise m'a fait entendre le Veni
sponsa Christi ; elle m'a consacrée, et maintenant tout est consommé, ou plutôt tout commence, car la
profession n'est qu'une aurore, et chaque jour ma vie d'épouse m'apparaît plus belle, plus lumineuse,
plus enveloppée de paix et d'amour.
En la nuit qui précéda le grand jour, tandis que j'étais au chSur dans l'attente de l'Epoux, j'ai compris
que mon ciel commençait sur la terre : le ciel dans la foi, avec la souffrance et l'immolation pour Celui
que j'aime... Je voudrais tant l'aimer, l'aimer comme ma séraphique MÅre, jusqu'Ä… en mourir. VoilÄ…
toute mon ambition : ętre la proie de l'amour... Il me semble qu'au Carmel, c'est si simple de vivre
d'amour ! Du matin au soir, la RÅgle est lÄ… pour nous exprimer, instant par instant, la volonté du bon
Dieu. Combien je l'aime, cette RÅgle qui est la forme en laquelle Il me veut sainte ! Je ne sais si j'aurai
le bonheur de donner Ä… mon Epoux le témoignage du sang ; mais si je mÅne pleinement ma vie de
Carmélite, j'ai du moins la consolation de m'user pour Lui, pour Lui seul. Alors qu'importe
l'occupation en laquelle Il me veut, puisqu'Il est toujours avec moi ; l'oraison, le cSur Ä… cSur ne doit
jamais finir. Je le sens si vivant en mon âme ! Je n'ai qu'Ä… me recueillir pour le trouver au dedans de
moi, et c'est ce qui fait tout mon bonheur. Il a mis en mon cSur une soif d'infini et un besoin d'aimer
que Lui seul peut rassasier ! Alors je vais Ä… Lui comme le petit enfant Ä… sa mÅre, pour qu'Il comble,
qu'il envahisse tout ; qu'il me prenne et m'emporte en ses bras. Il me semble qu'il faut ętre si simple
avec le bon Dieu !
Ne viendrez-vous pas un jour bénir votre petite Carmélite et remercier tout prÅs d'elle Celui qui l'a
« trop aimée ? Mon bonheur ne peut plus se dire. Ecoutez tout ce qui se chante en mon âme pour
Dieu et pour vous ; Ä… la sainte Messe, baignez-moi dans le sang de l'Epoux, n'est-il pas la pureté de
l'épouse... et elle en a tellement soif !...
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