Les Souvenirs chapitre 5 : Adieux au monde
CHAPITRE V
Adieux au monde
Tarbes et Lourdes - Le Carmel de Dijon - Heure de grâce - Etat de foi et d'abandon. Lettres et souvenirs - Le 2 août 1901.
es vacances de l'été suivant furent pour elle une tournée d'adieux aux amis, comme aux lieux qu'elle
Lne devait plus revoir. Un petit séjour Ä… Tarbes lui permit de s'entretenir quelquefois avec la Révérende
MÅre Prieure du Carmel.
AprÅs une assez longue visite, rapporte celle-ci, je dus appeler une sSur touriÅre au parloir, pendant
qu'Elisabeth était encore lÄ…. La sSur me demanda si je savais qu'elle fût Ä… genoux. Elle était donc restée tout
le temps ainsi, prÅs de notre grille. En causant avec elle, il était facile de reconnaître une âme prise par Dieu ;
aussi les merveilles de la grâce dévoilées par la circulaire de Dijon, nous ont-elles causé moins de surprise
que d'admiration.
C'est Ä… Tarbes, en visitant une jeune professe, aprÅs la cérémonie de sa prise de voile, qu'elle reçut
l'assurance du consentement définitif de sa mÅre. Celle-ci, voyant la joie débordante de la nouvelle carmélite
et les larmes de sa chÅre fille, comprit que le bonheur de son enfant était lÄ… ; elle lui dit en sortant : « Ne
pleure pas, je ne te ferai plus attendre longtemps .
Deux jours passés Ä… Lourdes lui procurÅrent d'ineffables consolations ; elle eut le bonheur de faire la
sainte communion Ä… la Grotte, dont elle ne pouvait s'arracher.
La Vierge Immaculée, pour qui Elisabeth avait une dévotion si tendre et si filiale, l'attirait spécialement
dans son mystÅre de pureté. Que de grâces et d'impressions célestes son âme avait déjÄ… reçues aux roches
Massabielles, si souvent visitées par la pieuse enfant pendant les séjours de sa famille dans les Pyrénées !
Cette année, elle venait une derniÅre fois supplier l'Etoile des mers de la conduire enfin au port.
Ces vacances se terminÅrent par un court séjour Ä… Paris. Le sanctuaire de Notre-Dame des Victoires,
celui de Montmartre attiraient seuls la future Carmélite dans ce voyage, dont l'exposition universelle était le
but. Il lui tardait de regagner Dijon pour retrouver son cher monastÅre et préparer son entrée définitive en
l'arche sainte, grande occupation des derniers mois.
L'organisation de chants pour nos solennités lui était un heureux prétexte de multiplier ses visites Ä… la
Révérende MÅre Prieure : « Cher et pauvre petit parloir du Carmel, quels délicieux moments je passe chez
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toi ! Mon Jésus, rendez Ä… cette bonne MÅre tout le bien qu'elle me fait, je vous en conjure ; elle sait si bien
vous donner Ä… mon âme !
De son côté, la MÅre disait d'elle : « Quelle ravissante enfant ; elle me repose de tout !...
Nous parlions d'oraison, nous écrit-elle aujourd'hui ; la sienne était toute simple, toute d'une piÅce.
Le divin Maître était lÄ…, au dedans, la façonnant Ä… son gré. Elle se plaignait de ne rien faire, ravie
qu'elle était par Celui qui faisait tout.
Au Carmel, Elisabeth rencontra un religieux de l'ordre de Saint Dominique, qui devait exercer sur sa
vie intérieure une influence toute providentielle. Le PÅre avait grâce spéciale pour parler de la sainte Trinité.
L'auguste mystÅre ne s'était pas encore révélé Ä… cette âme toute prise par l'amour du divin Maître et par le
désir de s'absorber en la contemplation de ses douleurs. La transformation en Jésus crucifié était déjÄ… tout son
idéal de sainteté ; aussi lui en avait-il coûté de renoncer Ä… son nom d'Elisabeth de Jésus, quand la MÅre
Prieure lui avait dit son intention de la dédier aux trois divines personnes. Bientôt elle s'en voulut de ce
regret, « ce nom étant pour elle toute une vocation, toute sa vocation .
En attendant, formulant ce qu'elle pressentait de la charité divine, le PÅre lui ouvrit des horizons
comme infinis sur le « trop grand amour de Dieu . Elle en fut transportée ; son oraison devint encore plus
profonde. Sous cette lumiÅre de foi, qui fut toujours son phare lumineux, elle demeurait dans l'adoration
silencieuse des richesses divines entrevues.
C'était une vraie joie, écrit le Révérend PÅre, de parler de Notre-Seigneur et de sa grâce en nous,
avec cette âme si pure, si intuitive, si simple aussi, et dont la volonté, autant que l'intelligence, fut
donnée Ä… son Maître dÅs la premiÅre heure1.
Le fruit de ces nouveaux éveils fut un état de foi tout filial, l'établissant dans un amoureux et paisible
abandon Ä… la conduite de Celui dont la divine paternité dévoilée, devait nécessairement apaiser l'angoisse de
ses désirs.
Je me livre, je m'abandonne, je suis tranquille, je sais Ä… qui je me fie ; Il est tout-puissant, qu'Il
arrange toutes choses selon son bon plaisir ; je ne veux que ce qu'Il veut ; je ne désire que ce qu'il
désire ; je ne Lui demande qu'une chose : l'aimer de toute mon âme, mais d'un amour vrai, fort et
généreux.
Deux mois encore, et notre petite colombe sera reçue dans l'arche, portant avec elle l'espérance et la
1
Un jugement plus complet du Révérend PÅre projette une vive lumiÅre sur la vie intérieure d'Elisabeth
particuliÅrement au cours de ses années religieuses. Pour cette raison, nous le placerons au début de nos Souvenirs se
rattachant Ä… cette époque.
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joie. Lettres et souvenirs vont nous permettre de la suivre jusqu'Ä… la fin dans son vol toujours égal, et
d'entendre ses derniers chants sur la rive étrangÅre.
19 mai 1901
Cher Monsieur le Chanoine,
Que Dieu est bon ! Qu'il est doux de se livrer, de s'abandonner Ä… Lui ! Quand Il veut quelque chose Il
sait surmonter les obstacles, aplanir toutes les difficultés.
Je Lui avais confié mes affaires, je Lui avais demandé de parler Lui-mÄ™me Ä… ma chÅre maman, et Il a
fait cela si bien, que je n'ai rien eu Ä… dire. Pauvre maman ! Si vous la voyiez, elle est admirable ! Elle
se laisse conduire par le bon Dieu ; elle comprend qu'Il me veut ; aussi, dans deux mois, me laissera-t-
elle entrer au Carmel. J'ai tant désiré, tant attendu ce jour qu'il me semble rÄ™ver ; mais ne croyez pas
que je ne sente point le sacrifice ; je l'offre Ä… Dieu chaque fois que je songe Ä… la séparation. Puis-je Lui
sacrifier plus qu'une mÅre comme la mienne ? Ah ! Il me comprend, Lui dont le cSur est si tendre, Il
sait bien que c'est pour Lui ; Il me soutient et me prépare au sacrifice.
Voyez-vous, ce bon Maître me veut toute Ä… Lui ; je le savais, aussi j'avais confiance, j'étais sûre qu'Il
me prendrait. Remerciez le bon Dieu pour votre petite Elisabeth, Il lui a tant donné, surtout en grâces
connues de Lui seul, de ces choses qui se passent au plus intime de l'âme ! Oh ! que d'amour ! Mais
Lui sait bien que je l'aime, et il me semble que ce mot dit tout.
Vivre d'amour, c'est-Ä…-dire ne plus vivre que de Lui, en Lui, par Lui, n'est-ce pas avoir déjÄ… un peu
son paradis sur terre ? Je puis bien vous confier quelque chose : si vous saviez comme parfois j'ai la
nostalgie du ciel ; je voudrais tant m'en aller lÄ…-haut prÅs de Lui ; je serais si heureuse, mÄ™me s'il me
prenait avant le Carmel, car le Carmel du ciel est bien meilleur, et je serais tout de mÄ™me Carmélite en
paradis. Lorsque je dis cela Ä… ma bonne MÅre Prieure, elle me traite de paresseuse ; mais je ne désire
que ce que le bon Dieu veut, et s'il veut me laisser bien longtemps sur la terre, je suis toute disposée Ä…
vivre pour Lui.
Vous allez penser que je suis un peu sans cSur ; j'ai honte de toutes les sottises que je vous dis, mais
vous m'avez demandé de vous écrire librement, et je vous obéis ; puis il me semble que vous me
comprenez.
Je sollicite la continuation de vos bonnes priÅres ; j'en ai particuliÅrement besoin. Oh ! priez surtout
pour ma bien-aimée maman ; demandez Ä… Dieu qu'il me remplace dans son cSur, qu'il lui soit tout.
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Vendredi, 14 juin 1901
Depuis dix jours, je suis prise par le genou ; j'ai un peu d'épanchement de synovie. Figurez-vous que
j'en suis contente, c'est une attention de mon Bien-Aimé qui veut faire partager Ä… sa petite fiancée la
douleur de ses genoux divins, sur le chemin du Calvaire ! Je suis privée de l'église, privée de la sainte
communion ; mais le bon Dieu n'a pas besoin de sacrement pour venir Ä… moi ; il me semble que je l'ai
autant ! C'est lÄ…, tout au fond, dans le ciel de mon âme, que j'aime le trouver, puisqu'Il ne me quitte
jamais. Dieu en moi, moi en Lui, oh ! c'est ma vie ! ... Qu'elle est consolante la pensée que, sauf la
vision, nous le possédons déjÄ… comme les bienheureux le possÅdent lÄ…-haut ; que nous pouvons ne
jamais le quitter, ne jamais nous laisser distraire de Lui ! Priez-le pour que je me laisse toute prendre et
emporter !&
Vous ai-je jamais dit mon nom du Carmel ?... Elisabeth de la Trinité ; il me semble que ce nom
indique ma vocation personnelle ; n'est-ce pas qu'il est beau ! J'aime tant ce mystÅre de la Sainte
Trinité ; c'est un abîme dans lequel je me perds !
Plus qu'un mois ! Ces derniers moments sont une agonie ; pauvre maman ! Oh ! priez pour elle. Je
l'abandonne toute au bon Dieu : « Pense Ä… moi, je penserai Ä… toi , disait Notre-Seigneur Ä… sainte
Catherine de Sienne, « c'est si doux l'abandon quand on connaît Celui auquel on se livre !
Ecoutons une personne autorisée nous parler encore de celle que nous nommerons bientôt sSur
Elisabeth de la Trinité. Sa charmante relation complétera fort heureusement la premiÅre partie de nos
Souvenirs.
J'ai rencontré pour la premiÅre fois Elisabeth quand elle avait dix-sept ans. DÅs cette premiÅre
entrevue, le charme qui émanait d'elle m'avait captivée. Un an aprÅs, j'entrais en relations de visites
avec sa mÅre, et peu aprÅs, Elisabeth, qui savait que j'avais eu des attaches avec le Carmel, se
rapprocha de moi. Notre intimité se fit rapidement, et je finis par lire dans cette belle âme les pages de
vie intérieure que Dieu y avait déjÄ… écrites. Toutes se résumaient en un mot : l'amour !... Notre-
Seigneur était sa passion. Cela explique son attrait extraordinaire pour la souffrance qui l'a conduite Ä…
sa sublime vocation.
Il y a deux sortes d'amour : l'amour qui reçoit et l'amour qui donne. Ce dernier fut le sien. Elle était
généreuse. Pour elle, aimer, c'était se dévouer, se sacrifier, s'immoler : « Aimer jusqu'Ä… en mourir !
comme elle le dit dans sa belle priÅre... Elle voulait prouver Ä… Dieu son amour, la contemplation ne lui
suffisant plus, elle se donna. Et comment ? En une fois tout entiÅre, en consacrant sa vie dans le cloître,
et lÄ… ensuite goutte Ä… goutte, elle a donné son sang dans tous les crucifiements du corps, du cSur, de
l'âme... jusqu'Ä… sa mort. Elle a été jusqu'au bout Ä… l'exemple de son Maître, de son Bien-Aimé.
Deux choses m'ont particuliÅrement frappée dans les aspirations de cette âme vibrante, toute faite
d'élans : le besoin de la souffrance et le désir de la mort. Quand nous causions ensemble sur sa belle et
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si grande vocation, je ne pouvais m'empÄ™cher de lui dire : « Ne vous y trompez pas, Elisabeth, Dieu
prend au mot des âmes comme la vôtre, Il acceptera ce don de vous-mÄ™me ; en entrant au Carmel,
n'ayez pas d'illusions, vous vous jetez dans l'abîme de la souffrance, laquelle Dieu vous réserve-t-il, je
l'ignore, peut-Ä™tre toutes puisque vous voulez Ä™tre semblable Ä… votre Jésus... Cet abîme est sans
fond... Elle me répondait avec son large et doux sourire : « Je m'y plonge Ä… l'avance ! Oh ! j'espÅre
bien souffrir ; je ne vais au Carmel que pour cela, et si le bon Dieu m'épargnait un seul jour, je
craindrais qu'il ne m'oubliât !
Par moments, prise de cette nostalgie du ciel qu'ont connue tous les saints, elle regardait la mort avec
envie, car la mort c'était la destruction de l'obstacle qui la séparait de la vision divine. Que de fois elle
m'a dit avec un regard enflammé, comme l'enfant exilé qui parle du home qui l'attend : « Oh ! pour
moi la mort, c'est ce mur qui s'écroule (elle me montrait le mur de ma chambre), et je tombe dans les
bras de mon Bien-Aimé . Cette phrase sortait de son cSur comme un cri d'espérance ; puis calme et
sereine, elle disait : « Il faut attendre ! Elle n'a pas attendu longtemps, la chÅre petite, car elle a aimé
« jusqu'Ä… en mourir . Et Dieu ne l'a pas oubliée un jour, car elle a souffert comme elle le désirait
aussi, « jusqu'Ä… en mourir .
Elle venait me voir souvent, et toutes nos conversations roulaient sur le mÄ™me sujet : « Quand donc
pourrai-je entrer au Carmel ? Comme il fait bon d'aimer Dieu ! Je ne pourrai dilater mon âme dans
cet amour, qu'isolée dans la cloître... J'ai hâte d'y aller pour prier, souffrir, aimer .
En dehors de ces épanchements, elle ne se faisait remarquer en rien. Elle était d'une gaîté tranquille,
comme l'âme paisible qui reste toujours souriante, mais d'un sourire sérieux et avec ce regard profond
qui semblait déjÄ… voir au delÄ… de ce monde. Ce regard extraordinaire m'a saisie la veille de son entrée
dans le cloître. Je l'attendais Ä… la chapelle pour lui dire un dernier adieu ; j'entends un léger bruit ; je me
retourne, et mes yeux rencontrent les siens... Jamais je ne pourrai exprimer ce que j'y ai vu... Ce n'était
plus un regard humain, mais quelque chose d'angélique ! Ses yeux étaient lumineux, transparents ; ils
brillaient d'un éclat céleste... J'en suis restée impressionnée pour toujours. Je la voyais en dehors des
grilles pour la derniÅre fois...
Avant d'introduire Elisabeth dans le cloître, encore un souvenir !... Il met en lumiÅre la vertu de la
généreuse postulante, toujours appliquée Ä… se renoncer et si bien établie dans l'abandon.
Au début de ses rapports avec la MÅre Prieure de Dijon, elle avait trouvé celle-ci préparant la
fondation d'un Carmel Ä… Paray-le-Monial. Il était tout naturel que l'on pensât Ä… joindre cette âme d'élite au
petit groupe choisi par le divin Maître : ne réalisait-elle pas l'idéal de sainte ThérÅse pour les sujets de ses
fondations ! Quel exemple et quelle bénédiction pour asseoir un noviciat ! La Révérende MÅre avait donc
offert Ä… Elisabeth de partager la grâce des élues du Sacré-CSur. Celle-ci, croyant plus parfait de ne faire
aucun choix, mais d'entrer simplement dans la proposition, avait accepté sans avouer une préférence pour le
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Carmel de Dijon, qui l'attirait depuis si longtemps et oÅ‚ elle se sentait déjÄ… fixée. D'autre part, les travaux
d'une fondation, grâce réelle pour certaines âmes par le vaste champ ouvert Ä… la vertu, répugnaient Ä… celle
d'Elisabeth, qui avait besoin de trouver établie dans son fonctionnement régulier, cette vie de solitude et
d'oraison qu'elle désirait ardemment.
Plus le terme approchait, plus la chÅre enfant sentait augmenter la souffrance intime de la violence
qu'elle faisait Ä… son attrait, et plus aussi elle apportait d'énergie Ä… dominer ses impressions. Ne s'était-elle pas
« livrée tout entiÅre Ä… Dieu pour qu'Il arrangeât toutes choses selon son bon plaisir, ne se réservant que de
l'aimer de toute son âme, d'un amour fort et généreux ?
La vue du chagrin de sa mÅre et de sa sSur, augmentant sa peine, l'engageait bien davantage encore Ä…
garder le silence, par crainte de faire intervenir la nature dans une question d'ordre tout surnaturel. Elle se
laissa donc faire : c'était la loi de son amour.
DéjÄ… son trousseau de postulante l'avait précédée Ä… Paray-le-Monial ; le jour du départ n'était pas
éloigné. Cependant Mme Catez, accablée par la perspective d'une plus complÅte séparation, regrettait que la
MÅre Prieure, Ä… laquelle elle avait promis son Elisabeth, fit une fondation. Sa conscience délicate ne se
croyait plus le droit de revenir sur sa promesse. Elle s en ouvrit Ä… une amie qui lui conseilla de soumettre le
cas Ä… quelqu'un d'autorisé. L'avis fut suivi, et Mme Catez, encouragée Ä… garder sa fille, en avoua le désir Ä… la
MÅre Prieure de Paray. La réponse fut celle d'une âme qui ne regardait qu'Ä… la volonté de Dieu sans se laisser
arrÄ™ter par les sacrifices que, depuis plusieurs mois, cette divine volonté demandait Ä… son cSur.
Vous savez sans doute, écrivit la Prieure Ä… la chÅre postulante, que votre mÅre et Marguerite m'ont
demandé de vous laisser Ä… Dijon ; d'autre part, il semble que ce soit aussi votre désir. En tout cela, je
vois la volonté du bon Dieu que nous devons aimer et faire sans arriÅre-pensée. Donnez-vous Ä… Notre-
Seigneur oÅ‚ il vous veut ; je ne vous aurais amenée ici que si Il l'avait voulu. Je vous reçois donc pour
Dijon, ma chÅre enfant ; apportez-y tout ce que vous avez de cSur et d'âme pour aimer Notre-Seigneur.
Je voudrais bien Ä™tre lÄ… pour vous offrir Ä… Lui, je ne le puis, étant retenue par des affaires ; mais ma
priÅre et mon cSur y seront pour vous bénir.
Alors seulement, rapporte Marguerite, Elisabeth m'avoua que la perspective de ne pas entrer au
Carmel de Dijon lui avait été bien pénible, mais qu'elle avait pensé se sacrifier plus complÅtement en
se renonçant, mÄ™me dans la question du monastÅre.
Cependant la santé de sa fille se ressentant des émotions des derniers jours, Madame Catez s'oublia
courageusement elle-mÄ™me, et vint nous prier de devancer la date fixée pour l'entrée de son Elisabeth au
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Carmel le 2 août, nos portes s'ouvrirent Ä… l'heureuse élue.
Les derniÅres heures d'intimité de ces Ä™tres tendrement unis ont un caractÅre de simplicité touchante.
On était Ä… la veille du premier vendredi du mois ; fidÅle Ä… son rendez-vous de Gethsémani, Elisabeth
venait de passer en priÅre une partie de la nuit, quand sa pauvre mÅre, incapable de repos, vint s'agenouiller
prÅs de son lit, donnant libre cours Ä… ses larmes, auxquelles se mÄ™laient celles de la tendre enfant, qui ne
cherchait pas Ä… dissimuler le brisement de son cSur. « Alors pourquoi me quitter, disait la mÅre ? Ah ! ma
chÅre maman, puis-je résister Ä… la voix de Dieu qui m'appelle ? Il me tend les bras et me dit qu'Il est
méconnu, outragé, délaissé. Puis-je l'abandonner, moi aussi ? Il veut des victimes, il faut que je parte malgré
mon chagrin de vous laisser, de vous plonger dans la douleur ; il faut que je réponde Ä… son appel .
Le moment venu d'abandonner pour toujours le foyer domestique, Elisabeth alla s'agenouiller devant
le portrait de son pÅre, lui demandant sa bénédiction. AprÅs cela, vaillante et sereine, elle vint assister Ä… la
messe dans notre chapelle. Sa mÅre, sa sSur et quelques fidÅles amies l'accompagnÅrent Ä… la table sainte,
puis Ä… la porte conventuelle qui se referma sur un dernier regard Ä… celles qu'elle chérissait si tendrement.
DÅs l'aube de ce grand jour, elle avait adressé les lignes suivantes Ä… Carcassonne :
Vendredi, 2 août 1901
Avant d'entrer au Carmel, je veux vous envoyer un dernier souvenir. Nous allons communier Ä… la
messe de huit heures, et, quand Il sera dans nos cSurs, maman me conduira Ä… la porte de clôture.
J'aime ma mÅre comme jamais je ne l'ai aimée, et au moment de consommer le sacrifice qui va me
séparer de ces deux Ä™tres si chers, quelle paix inonde mon âme ! Ce n'est déjÄ… plus la terre, je sens que
je suis toute Ä… Lui, que je ne garde rien ; je me jette en ses bras comme un petit enfant.
C'est bien avec l'abandon et la simplicité d'un petit enfant qu'elle tomba dans les bras de celle qui
devait lui tenir la place de Dieu2.
2
La MÅre Sous-Prieure, en l'absence de la Révérende MÅre Prieure retenue Ä… Paray-le-Monial. Les élections allaient la placer
Ä… la tÄ™te de la communauté.
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