BOSSUET OU FENELON? 422).
II faut ąuitter pendant quelques instants le terrain de la logique pure et simple, pour impliquer dans Tanalyse des faits historiques les raisons du coeur que la raison ne connait pas. Les celebres paroles de Pascal nous sont restees sans cesse presentes a la memoire pendant l’expose precedent sur rimpuissance de Bossuet a conquerir les protestants hollandais, en depit de la renommee extraordinaire dont il jouissait. Le danger de se restreindre a une explication purement logique est grand, puisqu’au fond elle est inherente au systeme de Bossuet. Tout parait jusqu,ici si clair et si naturel; mais la darte n’est pas necessairement toute la verite. Ce serait tomber dans la faute que Bossuet n’a pas su eviter lui-meme, que de negliger la part de sensibilite ou meme de sentimentalite du protestantisme, tout paradoxal que ce terme puisse paraitre sous ce rapport. Apres avoir suivi jusqu’au bout le developpement de la lutte, il reste toujours quelques questions auxquelles la reponse n’a pas encore ete donnee; une certaine inquietude se degage a la longue, qui nait de 1’insatisfaction de n’avoir pas trouve le mot de 1’enigme.
N’est-ce vraiment que la haine de Romę qui a fait echapper les protestants hollandais a la prise de Bossuet? D’ou viendrait alors la forte prefe-rence pour Fenelon, beaucoup plus ultramontain pourtant que lui ? Comment expliquer la reaction du protestantisme hollandais au cours des demeles entre l’eveque de Meaux et Tarcheveque de Cambrai, et apres la defaite de celui-ci?
Pour trouver la reponse a ces questions il faut entrer dans le domaine du coeur. Une forte poussee mystique penetrait les Eglises partout en Europę. En Hollande les circonstances etaient tres favorables a Teclosion des plus ferventes ardeurs de piete. Les rigueurs dogmatiques des calvi-nistes y avaient provoque deja de bonne heure la reaction des pietistes, cherchant le seul moyen de salut dans la parole de Dieu, qui devait se comprendre d^lle-meme. Le guide spirituel des communautes de regeneres, Jean de Labadie, le prophete Quirinus Kuhlmann, Antoinette de Bourignon, 1’apótre passionnee de la vie affective, tous y eurent nombre d’adeptes. Les refugies franęais, qui avaient ete traques dans leur patrie par les dragons, et avaient du essuyer force tourments et douleurs, entretenaient en eux une hyper-sensibilite qui ne les rendait que trop enclins a suivre ces maitres hallucinants. Nombreux etaient d’autre part, dans la riche bourgeoisie hollandaise, les hommes, et surtout les femmes, que leur opu-lence et leur confort lassaient; tourmentes par la nostalgie dJun ideał plus eleve, ils allaient chercher leur salut aupres de ces maitres nouveaux.
422) Cf. A. Rebelliau, Bossuet, p. 161 sq.; L. Crousle, Fenelon et Bossuet; Max Wieser, Der sentimentale Mensch; H. G. Martin, Fenelon en Hollande; Paul Hazard, La Crise, 4e partie, chap. VI.
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