Plein d’un feu apostolique, Bossuet demande au Seigneur des seigneurs jusqu a quand II endurera que Son ennemi declare soutienne dans la Terre Sainte les blasphemes de Mahomet, abatte la croix sous le croissant, et diminue tous les jours la chretiente par des armes fortunees 104). II conjure la chretiente d’ouvrir les yeux et de reconnaitre le vengeur que Dieu lui envoie, maintenant qu elle est ravagee par les infideles qui penetrent jusqu a ses entrailles 105).
L/inquietude du poete n’est pas moins grandę. Le croissant est pour lui le signe plante par le diable en face de la croix. U lance un appel passionne aux princes chretiens qui ,,se prennent aux cheveux”, de cesser de se com-battre afin d’unir leurs efforts contrę 1’ennemi commun. II prevoit avec horreur que Tennemi du Christ viendra profaner la cathedrale de Cologne en 1’employant comme ecurie pour ses chevaux, et il prie Dieu de chasser ce sombre nuage, et de confondre 1’enfer en faisant planter 1’etendard de Son Nom sur le saint sepulcre10C).
Alarmes par le delabrement de la chretiente, ils ont porte tous les deux le meme diagnostic. Mais c’est la que cesse leur accord. Lorsqu’il sagit de rechercher les causes du mai, leurs opinions divergent. Pour Vondel ce sont les luttes entre les chretiens. Bossuet les cherche dans Tamę des hommes. Le danger diabolique est a ses yeux une juste punition de leurs peches, et accroitra encore s’ils ne detruisent pas les passions, „qui feraient de leurs coeurs un tempie d’idoles”.
I)ivergence significative. Pour le poete, vivant en Hollande sous la dictature calviniste, le protestantisme est une realite a laquelle il a du sarracher apres une longue lutte. II lui a fallu surmonter un monceau de prejuges. Avant de faire le pas decisif, il avait craint de se renfermer dans un horizon trop resserre. Maintenant qu’il l’a fait, et qu’il a trouve au contraire la verite qui rend librę, il defend son nouveau bonheur contrę toute contagion du cóte du protestantisme. II se mefie avant tout de Calvin et de sa doctrine de la predestination, sur laquelle il se jette avec 1’achar-nement de quelqu’un qui lutte pour sa vie. Cette doctrine „turque” lui fait 1’impression detre blasphematoire. Passionnement indigne, il accable des injures et des imprecations les plus vehementes le „monstre” qui ose pretendre que Dieu arrache 1’enfant innocent au sein de sa mere, et le
104) Panćgyrique de Pierre de Nolasąue, 29 janvier 1665, CEuvres orałoires, t IV, p. 585.
105) Oraison funebre de Marie-Therese d*Autriche, prononcee le ler sept. 1683, au moment ou les Turcs menaęaient Vienne. CEtwres oratoires, t. VI, p. 183. II est possible que l’exhortation de Bossuet a Louis XIV de venger la chretiente, lui ait ete inspiree par le papę Innocent XI, qui dans son Bref du 4 janv. 1679 exprime 1’espoir que la paix quc le grand roi vient de rendre a 1’Europe, „lui laisse la liberte de porter dans 1’Orient ses armes invincibles” (Correspondance, t. II, p. 101).
10G) Op de Tweedraght der Christe Princen aen Jesus Christusf 1634, (Euvres completes, t. III, p. 419-420.
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