Ecume d’ambrę et paillette argentee Bulle echappee au sommeil des amants Soleil de nuit d'un eternel ete Solstice en fleurs mousse de diamant A Reims en France ou ton cep est sculpte Secret sourire au vitrage roman LAnge a rnuri l'elixir enchante.
Gilbert Prouteau Ecume d’ambre
EN ce jour de mai de Fan-nee 1668, les moines be-nedictins d’Hautvillers, en Champagnc, defilaient en proces-sion dans les bois qui entouraient Fabbaye. lis obeissaient a la cou-tume ancienne des Rogations : tous les ans, dans les jours qui precedaient FAscension, ils al-laient ainsi de bon matin, a tra-vers les vignes et les bois, chan-tant les litanies des saints pour obtenir du Ciel protection et bć-nediction des fruits de la terre.
Cetait une bien agreable cou-tume, lorsque le printemps etait doux, comme cette annee-la ; les fougdres deployaient leurs feuilles naissantes sous les futaies, les muguets devoilaient leurs corolles a travers la mousse des sentiers. C’etait promenadę plutót que procession. Les moines chantaient d’une voix forte, et un bonheur tranquille eclairait leurs faces, generalement rondes et colorees; deux d’entre eux, pourtant, ne semblaient pas partager la sere-nite generale. Le premier, petit et gros, promenait un regard inquiet autour de lui, scrutant les buis-sons et les taillis; c’etait dom Nicolas ; Fautre, dom Perignon, etait de haute stature, et son vi-sage aurait ete probablement avenant, si une bizarre crispation n'en avait deforme les traits. En realite ces deux moines avaient peur : le premier avait peur des brigands, le second avait peur du diable.
Une attitude si pcu conforme au deroulement paisible de la vie monacale avait pour cause un in-cident survenu pendant la nuit. Dom Pćrignon, cellcrier de Fabbaye, occupait une cellule voisine d'une tourelle, avec laquelle elle communiquait, et dans laquelle il rangeait ses outils. Mais il n’y rangeait pas que ses outils. Dom Perignon aimait le vin de Fabbaye : comme il fallait pour un bon cellerier, beaucoup trop pour un bon moine. Ce gout, reęu in-nocemment, mais cultivć tres fa-cheusement, le portait chaque annee a tirer des futs quelques bouteilles de vin nouveau ; il les entreposait au pied de la tourelle, et il en ouvrait parfois une, la nuit, lorsqu’il reconnaissait -avec beaucoup d’humilite - qu’il nłetait pas assez fort pour sup-porter toutes les contraintes de la vic monacale. Je n’aurais pas fait ces revelations - assez indiscretes - sur les incertitudes morales de dom Perignon si elles n’avaient ete indispensables a la compre-hension d’une histoire veridique et reconfortantc, puisqu'elle mon-tre qu'un faible pecheur n'est pas forcement prive des dons de la Providcnce.
Dans la nuit du 15 au 16 mai 1668, donc, notre cellerier fut eveille par une detonation qu’il. jugea assez forte; elle fut suivie de plusieurs autres. Ces bruits in-congrus semblaient venir de la tourelle. Dom Perignon en ouvrit hardiment la porte, et il assista alors a un spectacle qui le boule-versa : cinq ou six bouteilles de son precieux vin etaient ouvertes, et le liquide s’en ćtait repandu sur le sol. Le desastre s’etendit rapidement : le moine vit, im-puissant, les bouchons sauter les
* D’apres une chronique que Rene Le-brun fit chez les vignerons d‘Hautvillers.