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Regragui fit traverser au lieutenant une courelle riche en poules. Les trous des murs etaient bouches avec des tampons faits de cheveux coupes et de poils de barbe, barbe etant un euphemisme. L’escalier pour monter a la terrasse etait un tronc de palmier, ou des encoches tenaient lieu de marches. Auligny, se courbant, entra dans une piece sombre, et s'assit par terre en face du maitre de logis. [...] La demeure etait presque propre, et respirait meme une certaine aisance. II y avait a terre des couvertures de laine, des nattes, des peaux de mouton, avec une espece de grace dans 1'arrangement, qui sentait le toucher feminin. Les seuls objets etaient des vaisselles, des plateaux a couscous, un metier a tisser, des couffins de dattes et puis des past£ques qui sechaicnt.282
L'exterieur miserable (ou regne le desordre) de la demeure de la familie Regragui s'oppose a 1'interieur assez riche, bien organise qui trahit la presence des femmes, mais ces demieres restent les grandes absentes de l'interieur familial au moment de la visite d’un homme qui n'appartient pas a la familie. Ce double aspect de 1'interieur indigene semble s'inscrire dans la logique musulmane qui protege la femme contrę le regard de 1'autre d'une part, mais en meme temps, selon la meme logique, on cache devant l'ennemi ce qui est le plus difficile a detruire : la religion et la familie.
L'espace colonial auquel Auligny portait toujours beaucoup d'atten-tion change de statut : il perd son caractere referentiel afm de devenir un espace subjectif, personnel, car
Le desert n'appelle pas Auligny, nulle voix, nulle poesie ne s'en eleve pour le detourner de ce qui lui est propre, et qui est 1'homme. Un etre, Ram, a ebranle ce grand commencement qui se fait en lui, et ce qui seul 1'occupe, a present, ce sont des etres, les etres de la familie de Ram, et la cour du bordj ne lui parle que d'eux.283
Comme on est loin des premieres impressions d'Auligny arrive a Bri-batine avec sa propre vision de l'Afrique, presentee au moment ou les endroits «strategiques», comme l'oasis, par exemple, le deęoivent:
En France, il avait cru nai'vement que dans les oasis il y avait de 1'ombre. Mais c'etait la une croyance tout a fait fausse, il n'y avait pas d'ombre, ou il n'y en avait que dans les quantites reduites [...]. Auligny avait cru aussi qu'une oasis devait exhaler un parfum paradisiaque, et il lui fallait reconnaitre qu'il n'emanait de celle-ci aucune odeur [...]. II se prenait la figurę dans de veritables nuages de toiles d'araignees suspendues entre deux branches; il se piquait les doigts aux pointes acerees des palmes [...].2W
m U. dc Montherlant, La Rosc Je Sabie, op. cit., pp. 417-418. 2“ Ibid., p. 302.
JIMlbid., pp. 110-III.