niers m’apprirent, et cela me fut confirme par la suitę, que le sinistre episode de mon incarceration s’expliquait au moins en partie par une contagion de l’inquietude politique entre deux regimes politiques egalement repressifs. Les autorites tcheques se livraient a ces in-timidations policieres parce qu’elles redoutaient que 1’esprit insur-rectionnel qui soufflait alors en Pologne, et qui avait provoque la declaration de 1’etat de guerre dans votre pays (je rappelle que cela se passait en decembre 1981) ne s’etendit en Tchecoslovaquie. Cela m’a permis de me sentir, du fond de ma prison, plus proche de ceux qui resistaient alors en Pologne. Un peu comme si j’avais sym-boliquement, de faęon doublement clandestine, deja traverse la frontiere encore inconnue que grace a vous je franchis en verite aujourd’hui, par un temps meilleur.
J’aimerais souligner ici, aujourd’hui, un deuxieme trait de Vuniversitas europeenne: 1’independance inconditionnelle dont l’uni-versite moderne doit — ou devrait — faire la demonstration. Je ne dirai jamais que l’universite est en fait independante des pouvoirs politiques ou economiques, voire ideologiques de 1’Ćtat ou de la societe civile. Je dis seulement qu’elle devrait 1’etre pour 1’essentiel de ce qui lui revient en propre. Ce devoir ou cette promesse s’inscrivent dans sa vocation meme. La discipline philosophique a souvent ete consideree, dans 1’histoire de l’universite europeenne moderne, depuis la fin du XVIIItele siecle, comme la discipline, comme la pensee meme de cette responsabilite — qui lui aurait en som-me ete confiee ou assignee, et qu’elle aurait pour mission d’ensei-gner. La philosophie serait le discours meme, en verite le projet exemplaire, l’exigence de cette autonomie inconditionnelle. J’avais naguere tente de radicaliser le propos de Kant qui affirme, dans Le conflit des facultes, que la faculte de philosophie devrait etre la faculte librę par excellence. Faculte dite “inferieure”, car loin du pouvoir que PĆtat ou 1’Ćglise exercent au sommet de la societe, la faculte de philosophie se distinguerait par la des deux autres facultes (theologie et medicine), facultes dites “superieures” car plus proches de 1’Etat auxquelles elles doivent docilement rendre des comptes. Mais Kant limitait cette liberte philosophique a ce qui se disait sur un modę theorique a Pinterieur de l’universite dans la sphere des jugements sur la verite. La liberte du professeur de philosophie ne devait pas, selon lui, s’exercer publiquement hors de l’universite,
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