88
/
sous un baldaquin, et a cóte se dressait une massive armoire a glace, que le plafond trop bas ecrasait un peu.
L'interieur de sa maison demeure diamćtralement oppose k la «rea-lite» exterieure, il reste un espace emblematique etant donnę la nostalgie de la France et le rejet de l'Afrique.
Nous avons dćja montre dans le chapitre prćcedent comment Ramon, puis son flis, Rafael deviennent des hommes algeriens, comment leur destin reste exemplaire en fonction de la reponse a la question suivante : Comment s'elabore une race? Cette reorientation de leur perception du monde passe, entre autres, par 1'espace. Si au debut du roman, le lecteur est confronte a un espace dompte par des objets materiels espagnols en abondance, au fur et a mesure il est temoin de la francisation de cet univers, ce qui atteint son apogee au moment du voyage de Rafael au pays de ses ancetres ou il est pris pour un Franęais. Paradoxalement 1'espace espagnol est etranger a Rafael, il n'arrive pas k s'y identifier, d'ailleurs nous avons deja mentionne son depaysement au pays de ses grands-parents ainsi que sa nostalgie de 1'Algćrie. La maturitć de Rafael se mani-feste aussi par son gout des objets franęais qui dans leur acception tres large semblent plus raffmes que ceux d'Espagne.
lis (Rafael et le tio Martino) entrerent dans une taveme espagnole, car le tio Martino, homme de 1'ancien temps, n'aimait pas les cafes k la modę fran-ęaise. Des tonneaux d'alicante etaient alignćs au fond sur des gltes. Le sol, formę de terre battue tres inegale et ravinee, faisait boiter les tables et les tabourets. On ne voyait clair, comme dans une grange, que par la porte ouverte [...]. Le seul luxe etait une yieille illustration de 1'Imparcial collee au mur et qui representait le petit roi Alphonse XIII en uniforme. Cet aspect de rusticite deplut a Rafael, habitue maintenant a tout le clinquant des estaminets franęais.
De nombreux points de repere prćsentćs par Bertrand prennent une valeur symbolique aussi bien pour les personnages romanesques que pour le lecteur: si le Sud se revćle pour Rafael un espace de liberte et de defi en meme temps, le meme espace informe le lecteur sur le mirage africain qui ne perd rien de son attrait, malgrć la poćtiqiie naturaliste de Bertrand, et en plus il sert d'une maniere ou d'une autre a justifier le fait colonial. La route du Sud que Rafael prend encore une fois (vers la fin du roman) devient un voyage rituel donc aime car le heros apprćcie tous les elements
255 L. Bertrand, Le Sartg des Races, op. cit., p. 127. 284 Ibid., p. 175.