ąuestion des frontieres entre les genres du discours a declenche la formation d’une branche presque tout a fait independante dans le discours post-derridien sous 1’embleme: philosophie et litterature, en faisant animer tous les deux domaines ensemble et chacun d’eux a part...
Derrida lui-meme excerce les genres differents du discours: dis-sertations, essais, traites, lettres, portraits et autoportraits, confes-sions, fragments des memoires, pensees. C’est comme si tout art d’ecrire tendait a eviter de saisir le discours dans les categories immobiles de son identite, a Timpossibilite de le fermer dans les confins fixes par les “lois du genre”. Ne demandons donc aucune reponse claire ou “definitive” a la ąuestion si nous sommes d’abord Grecojuifs ou premierement Juifogrecs ou avant tout les uns ou les autres... Je crois que ces interpretes qui disent qu’il y a une comcidance entre les reponses toutes faites et la vie mourante, ont raison. Le chemin de la vie, ainsi que celui de 1’ecriture caracterise comme la vie et aussi la vie dechiree (via fracta) et la vie douloureuse (yia dolorosa). Cest dans la perspective de cette metaphore que j’ai dechiffre le texte de Derrida.
Derrida y parle de sa propre experience avec des mots suivants: ”[...] depourvu du fondement, c’est le deracinement culturel, mon malheur, les autres pourraient dire ma chance radicale Dans ce contexte, il n’y a pas de moyen de ne pas retoumer au texte beaucoup plus anterieur de Derrida — a 1’essai du portait d’un autre philosophe du cercie des “fondateurs du discours”, celui de Walter Benjamin. L’essai de Derrida a ete conęu, en quelque sort, en marge du portrait de 1’auteur de La me a un sens, dessine par Valerio Adami (qui est lie avec Derrida par les affinites de choix). Dans cette collaboration du peintre et du philosophe la ąualiflcation suivante est nee: “le critiąue dans la situation critiąue, a la frontiere 1’homme frontalier”. Les portaits reussis constituent souvent, comme Zygmunt Bauman le remarąue, une formę d’autoportrait. Sans que Jacąues Derrida accepte cette constatation, on peut dire que la formule “l’homme frontalier” peut se rapporter a sa propre oeuvre — et c’est dans plusieurs dimensions. Le monde universitaire n’a pas apprecie — nous le savons — Benjamin. Quant au monde dans leąuel nous vivons, nous ne pouvons pas dire qu’il est “bon”, et cela ne serait pas d’ailleurs necessaire. Nous pouvons pourtant dire qu’il est “meilleur” que celui
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