persister dans cet ćtat le plus longtemps possible. L’adolescence signifie leur morte, c’est-^-dire la fin des voluptes enfantines et le commencement de la vie sexuelle qui n’est jamais innocente a force de son caractćre coiporel. Dans la Biographie de lafaim, l’anorexie est activće (a part de l’age pubescent et du sexe fćminin) par le demenagement de la familie au Bangladesh ou les gens sont morts souvent de faim. Amćlie donc commence & hair tout, c’est-ó-dire surtout soi-meme. A l’age de treize ans, elle se rćvolte contrę les signes de sa sexualitć et dćsire redevenir 1’enfant asexuće : « Mon corps se deforma. Je grandis de douze centimetres en un an. U me vint des seins, grotesąues de petitesse, mais c 'etait deja trop pour moi: j ’essayai de les bruler avec un briquet, comme les amazones s 'incendiaient un sein pour mieux tirer a l ’arc; je ne reussis qu a me faire mai. (...) J’etais immense et laide, je portais un appareil dentaire. » Cette haine mćne k la « deperdition de soi » ; Amćlie s’efforce de se dćtruire par le suicide lent (comme elle s’est dćj& suicidće a l’age de trois ans, sans succćs). Un jour elle cesse de manger : « La faimfut lente au creux de mon ventre. Son agonie dura deux mois qui me parurent un long supplice. (...) Apres deux mois de douleur, le miracle eut enfin lieu: la faim disparut, laissant place a une joie torrentielle. J’avais tue mon corps. »185 L’anorexie reprćsente un mćcanisme de dćfense contrę la laideur qui envahit le corps. Le corps enfantin attaquć par la course du temps, comme Paffirme Murielle Gagnebin, cesse d’etre asexuć. L’ćtat physique de la filie aboutit k 1’apathie totale, k 1’anćantissement de tous ses sentiments.
« A quinze ans, pour un metre soixante-dix, je pesais trente-deux kilos. Mes cheveux tombaient par poignees. Je m enfermais dans la salle de bains pour regarder ma nudite: j’etais un cadavre. Cela me fascinait. »186 Amćlie vit donc au bord de la mort. Au lieu de combattre sa laideur suscitće par la pubertć, elle la multiplie en s’amortissant. Elle se trouve a un cótć inverse de la vie, ou mieux k un cótć pervers: elle echange 1’instinct de survie de
IM Nothomb, A.: Biographie de la faim. Paris, Albin Michel 2004, p. 205 1,5 ibid. p. 211 186 ibid. p. 219
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