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Or, a notre avis, une position aussi confortable repose sur une illusion et renferme meme un danger, car le siacie des Lumióres ne peut etre vraiment compris que si 1’on tient compte aussi de ses ante-cśdents. On pourrait rśpliąuer, assurćment, que cette meme exigence est valable pour toute pśriode de 1’histoire, chacune se definissant a la lumi^re de son passó immódiat; mais une telle objection ne nous semble pas pleinement justifiće1 2. En effet, dans le processus tradition-innovation qui marque l’śvolution de toute la culture de 1’Europe du Sud-Est, le XVII* sićcle a un tout autre poids que les siecles antćrieurs 3. Dans une
sur 1’histoire du Lcvant aux XVIII* —XIXe siecles, au dćtriment de P6poque antćrieure ; Paul Masson (Histoire du commerce franęais dans le Leuant au XVIIIt silcie, Paris, 1911) avait dój* fait la m6me remarąuc; on ne peut s'emp6cher de dćplorer que m^me des ćtudes d’histoire ecclćsiastiąue orlentale d’une certaine ampleur, comme celle de P. Dib, UEglise maromte, vol. I—II, Paris, 1930 — Beyroutłi, 1962, passent complótement sous silence les aspects spirituels et intellectuels, pourtant essentiels pour le thfcme traitć. Cette observation est valable pour Pensemble des cultures de la Mćditerranóe orientale — appellation par la-ąuelle nous entendons les pays de VEuropę du Sud-Est et du Levant — et des problfcmes qne soulfeve leur histoire culturelle au XVIIe sifccle. Les seuls domaines mieux ćclairćs par les recherches sont ceux de la littórature et de Part, surtout de la Grfece, des Pays Rou-mains et, partiellement, des cultures sud-slave et melkite. Moins bien connues, pour la mSme pćriode, sont les cultures turąue et albana»se. De mćme, il faut signaler le peu d’int6rSt dont a bćnóficić jusqu’ici Poeuvrc d’expression slavonne — en grandę mesure inćdite — d'un noinbre considćrable d’auteurs grecs, turcs ou balkaniąues. Si pour Thćophile Corydalće on dispose de la solide monographie de Clćobule Tsourkas (Les dibuts de lfenseignement philosophiąue et de la librę pensie dans les Balkans. La vie et Vctuvre de Thiophile Corydalie, 1570—1646, 2* ćd. rev. et contpl., Thessaloniąue, Institute of Bałkan Studies, 1967), Poeuvre mftme du philosophe est restće jusqu'& ce jour en grandę partie inśdite (une ódition de ses oeuVres, par les soins de C. Noica, est actuellement sous presse). En ćchange, des autcurs aussi prolifiąues que Sevastos Kymćnites ou Nicolae Milescu, des commentateurs de classiques comme Constantin Doukas ou, pour la littćrature islamique europćenne, Abdallah Abdi ibn Muhammed al-Bosnawi — nous ne faisons que citer quelques noms au hasard — n’o:il bónóficić ni d'śditions scientifiques, ni d’ćtudes qui situent leur oeuvre k la place qui lui reviendrait dans le contexte du mouvement culturel sud-est europćen. Uetude du dioeloppe-ment paralllle et des relations entre les diffirentes cultures de la Turcocratie, ainsi surtout que celle des ichanges d*idies turco-balkaniques au XVlle silcie, est encore d faire. Toutes ces lacunes augmentent la difficultć d'une analyse comme celle entrcprise par nous ici, de mśme que, jusqu’& la publication d'une quantitć substantielle de textes, de biographies et d'ótudes partielles, ellesrendent impossible la rćdaction d'une « Histoire comparće des cultures sud-est europćennes ».
«Au risque d’encourir le ridicule du professeur anonyme et cćlfcbre qui enseignait que toute pćriode s’appuie sur la prćcćdente et prćpare la suivante — observait rćcemment Jean-Franęois Revel — je dirai qu’il est trois manifcres d'envisager le Moyen Age : en se plaęant du point de vue de PAntiquitć ; en se plaęant du point de vue de la Renaissance (et de sa suitę); enfin, en se plaęant du point de vue du Moyen Age lui-mSme. » (Histoire de la philosophie occidentale, t. I, Paris, 1968, p. 265). Etant donnć que la prćsente ćtude a pour objet les antćcćdents de Vintellectuel draujourd*hui de PEurope du Sud-Est, notre atti-tude est celle illustrće, pour des phćnomfcnes comparables, par Pćrudit ćgyptien Taha Hussein, qui« dans son oeuvre nese tourne vers le passć que pour amener le lecteur k rćflćchir, non k imiter * (Gaston Wiet, Introduction d la littirature arabcf Paris, 1966, p. 290). Dans ce sens, le dossier complet du processus que nous examinons doit, k notre avis, partir du XVIIe et non du XVIII* sifccle, pour pouvoir offrir des rćsultats valables k ceux qui s'in-tćressent aux intellectuels sud-est europćens contemporains.
M^ntionnons aussi, k cct ćgard, les observations pćnćtrantes de Pierre Chaunu,
Riflezions sur le tournant des annies 1630 — 1650, dans «Cahiers de Phistoire *, 1968,
pp. 249 — 268, au sujet des «mutations profondes qui ont eu lieu alors en Occident sur les plans 6conomique, intellectuel, spirituel et esth6tique, mutations qui font de ces deux decennies e tournant d’oCi est nó, pour Pessentiel, le monde moderne ».