sous des formes toujours plus soumoises. Or, si la violence est conspuee, la violence symboliąue et invisible est 1'objet de beaucoup moins de recriminations que la brutalite physique ou verbale.
II apparait donc que 1'allergie a la violence que manifestent nos societes tient d'une certaine hypocrisie et n'est pas un moyen d'enrayer la violence qui continue de secouer le monde.
En effet, la deplorer de faęon systematique nous rend aveugles et sourds a ses causes. En la qualifiant de barbare, nous la rejetons dans une sphere lointaine. Nous 1'empechons de nous toucher, non seulement au plan physique, mais au plan pictural et emotionnel. Nous la renvoyons dans la sphere de 1’irreel, qu'il soit celui de 1'actualite televisuelle, ou la violence se resume souvent a des images de chars d'assaut ou celui des films abstraits de bombardements aeriens noctumes, qui tracent sur l'ecran des constellations de lumiere deconnectees de la souffrance des populations touchees. Ou bien la violence est esthetisees, dans des films et jeux videos, ou elle est de la meme maniere deconnectee d'un reel que nous ne pouvons de toute faęon pas imaginer.
Or, comme le dit Renaud: «la terre tremble sous les cris des enfants qui sont malheureux ». La violence existe et son eradication ne s'achete pas avec des dons aux oeuvres de charite.
Pour avoir une image reelle du monde, il nous faut passer par un reapprivoisement de la violence, de ses enjeux, de ses consequences. 11 ne s'agit pas, comme l'a fait Thierry Ehrmann, de la reapprendre par la scarification, ou 1'action directe des black blocks. Se familiariser avec la realite de la violence passe avant tout par 1'image.
Si 1'agence Gamma, agence de presse specialisee dans le photojoumalisme, les images de guerres, de crises, de souffrance, est en redressement financier aujourd'hui, c'est parce que ces images sont souvent insupportables au grand public. Elles ne font pas vendre. On leur prefere des images stereotypees d'agences de presse type Reuters, ou la non-prise de risque du photographe se superpose a celle du lecteur: voir une image reellement violente, c'est prendre le risque d'etre choque, touche, heurte, bref, de voir sa vie emotionnelle changer par la conscience d'une realite mondiale inacceptable.
« II n'y a que les cathedrales qui me touchent autant71 ». Cette phrase emblematique d'un visiteur de la DDC montre bien que la visite de la DDC s'apparente a un voyage au coeur d'une realite emotionnelle personnelle, a laquelle on ne peut rester indifferent. Comme 1'ecrit Thierry Ehrmann dans la preface au livre Honte a vous, « la rencontre avec la Demeure produit un choc qui genere un questionnement. Les emotions sont telles qu'elle pousse a s'interroger ». La DDC est «le reflet d'une societe.(...). La figuration de la vio!ence, de la cupidite, la « misę en images » de la mort, de la folie, la misę en scene de la destruction de la planete, des populations et des corps, l'expression
71 Extrait du recueil Honte a vous, qui rassemble des dizaines de temoignages de signataires de la petition pour sauver la DDC. Edition Musee L'organe, 2008
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