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gardę sa purete car la science et les arts ne sont que 1'origine de toutes sortes de malheur (Denis Diderot dans le Supplement au voyage de Bougain-ville se laisse influencer par les idees du baron Lahontan, de meme que Jean-Jacques Rousseau et tous ces autres ecrivains du XVIIIC siecle qui vont brosser le portrait du «bon sauvage»); suivant les lois de la Naturę, on devient heureux. Selon cette perspective, les civilises deviennent bar-bares et le «bon sauvage» devrait leur servir d'exemple.
A la meme epoque, le musulman reprend le statut du savant grace aux recherches scientifiques des professeurs arabisants de quelques univer-sites europeennes renommees; ils avouent la grandeur de la civilisation arabe, ainsi que la beaute de 1'Islam. Paul Hazard indique 1'annee 1708 comme signant la fin de l'evolution des sympathies envers 1'Orient, les-quelles changent radicalement, de l’aversion jusqu'a la bienveillance; c'est la datę ou Simon Ockley formule 1'idee, toujours polemique, selon laquel-le la culture occidentale ne depasse pas 1'orientale parce qu'en Orient on n'a pas moins de gćnies, et en plus on y est plus heureux. Une these pareil-le ne pouvait pas rester sans influences sur ceux qui cherchaient toujours des «iles heureuses». Cette envie correspond a l'image «primitive», incon-sciente, dont les origines remontent a 1'enfance humaine que O. Mannoni commente ainsi:
L'enfant qui souffre de sentir menacees les attaches qui le lient a ses parents et qui en meme temps, se sent coupable, car c'est lui qui desire les rompre, repond a cette situation par la tentation d'un monde sans attaches rćelles, d'un monde ou il est seul et ou il peut projeter les images de 1'inconscient, attachees a lui de la maniere la plus satisfaisante [...]. Ce monde [...] imagi-naire [...] constitue le seul monde, “monde primitif’. Cest de lui que sort [...] le modele de tous les mondes. Ce modele, fait d'abord de reverie et de fabulation, double le monde de la realite, le penetre et 1'organise affective-ment. [...] Dans une periode de transition, le monde est peuple d'anges, de demons et d'autres imaginations. Cest cette image “primitive” du monde humain que nous allons chercher dans des societćs moins reelles k nos yeux, devenant ainsi des explorateurs, des ethnographes et des coloniaux, par trop de fidćlite a notre enfance. [...] Le desir de rompre toute attache conduirait, s'il pouvait se realiser, a une sorte d'emancipation sauvage (une sauvagerie solitaire, le mythe invente par Defoe) de 1'adulte.
[...] Une sorte d'ideal se realise [...] par la substitution aux attaches origi-nelles de liaisons depersonnalisees. [...] La societe moderne est determinee en partie par l'image infantile du monde primitif: la foule indifferenciee [...] procure la meme solitude affective que l'tle deserte [...]. Les societes archai-ques sont toutes differentes : elles continuent a etre regies par une sorte d'autorite parentale, mais une autorite qui ne trouve finalement personne pour l'exercer reellement, car elle s'est cristallisee dans les coutumes ou bien