NADIA DANOVA (Sofia)
Je vais commencer par 1'analyse d’un ouvrage qu’on pourrait diffici-lement placer a sa naissance dans la categorie des livres scolaires. II s'agit de 1'Histoire slavo-bulgare, rćdigee en 1762 par le moine de Hilendar Paisij, qui a exercć une influence considćrable sur le processus de formation de l'iden-tite nationale bulgare. Pendant la seconde moitić du XVIII8 et les premie-res decennies du XIX® siecle, cette ceuvre a connu une tres large diffusion sous la formę de manuscrits. Elle a ćtć recopiee et completće par de nombreux representants ćminents de 1’intelligentsia bulgare. Imprimćen 1844, ce livre est prćsent dans toutes les bibliotheques personnelles et scolaires du XIX® siecle et il est utilisć a 1’enseignement de 1'histoire dans les ecoles. Apparue k l’ćpoque de la formation de la nation bulgare, cette Histoire reflete le processus d’un recul progressif de la conscience d’appartenance a la commu-nautć orthodoxe devant la conscience de differenciation ethnique. Dans cet ouvrage se trouvent formules les critćres fondamentaux de la diffćrenciation des Bulgares des « autres »— Grecs, Serbes, Turcs, Roumains,’ Juifs, etc. II donnę l'excellente possibilitć de rćveler les conditions sociales, politiques et culturelles de la naissance, de la structure et des mecanismes de fonction-nement de ces images et conceptions que Walter Lippmann appela en 1922 des * stereotypes». L’histoire de cette Histoire permet de mettre en ćvidence le role des stćrćotj^jes en tant qu'un mćcanisme simplifiant « de travail> avec le monde reel qui nous entoure, en tant qu'un ćlement de la mentalite collective, devenu particulierement sensible pendant les pćriodes de bouleversement des 6quilibres socio-^conomiques et politiques lorsque l'individu ressent un besoin accru d'orientation et cherche un appui dans la restructuration des systemes de valeurs.
II est vrai que Paisij a hćritć d’une riche tradition littćraire contenant 1'image de «l’autre * qu’il a systematisśe et soumise a son objectif de for-muler les ćlćments de 1'identitć nationale et de consolider le sentiment natio-nal des Bulgares. Pour lui, les Byzantins et ses contemporains les Grecs, sont un seul et meme peuple. II emploie les termes de « royaume d’Orient grec », de « rois grecs » et de « terres grecques * dans son recit sur Byzance, soulignant a plusieurs reprises que les vaillants et courageux guerriers bulgares ont ćtć toujours vainqueurs des armees byzantines. Les ćcrits des auteurs byzantins ne renferment que tr^s peu de renseignements sur les hauts faits des tsars bulgares car les Grecs les enviaient et les haslsaient a cause des
Rev. ifetudes Sud-Eśt Eiirop., XXXIII, 1—2, p. 31-j-39, Bucaiest, 1995