Eve jadis pour une pomme Nous a perdu le Paradis Mais voici retrouves par 1'homme Deux vrais nectars sans interdit:
Le Pommard et le Pomerol Sont deux grands crus, la chose est surę, Par tasse, par \erre ou par boi, Buvons-les : tout se transfigure!
Gout de truffe et gout de cerise.
De cassis et de venaisons,
En chaąue verre ąui nous grise Nous goutons les ąuatre saisons,
Tous les parfums de la garrigue.
Des chatnps, des bois et des forets,
S’y trouvent pour nous sans fatigue, Comblant le nez et le palais.
Brigitte Level.
LE grand moment est ar-rive, cette fois plus de doute ! A plusieurs repri-ses deja j’avais pu y croire, mais mon Maitre s’ćtait contente de saisir la bouteille, ma chere compagne, de regarder ma carte d’idcntite, de m’observer en transparence dans la lumiere (quelle dure epreuve pour moi si fragilc !), puis cnfin de me repo-ser dans mon berceau obscur pour que j’y continue ma vie tranquille, un peu deęu : je ne devais pas etre encore adulte. Deęu, oui, mais maintenant quelle angoisse !
Mc voila en position debout devant le casier ou reposait ma bouteille : j’cn ai vu bien d'autres avant moi dans cette position, et je sais que peu de temps apres mon Maitre va venir me prendre 40 avcc delicatessc et, avec un bi-zarre appareil dont j’ignore le nom, enlóvera le bouchon qui me protege. Pourvu que je ne perde pas connaissance lors dc ce brus-quc passage a 1’air librę, je vou-drais tant plaire a mon Maitre ! Car de ęc cóte-la je suis tran-quille : lui saura me gouter et re-connaitre les qualites que jłai pa-ticmment accumulees au cours des annees.
Si je lui plais, il irfemportera et m’offrira a ses amis, et c’est la mon angoisse. Je me retrouverai ecartele entre plusieurs verres. Bien sur ils scront en cristal et de formę tulipe de faęon a ce que je puisse laisser s’cnvoler au-dessus de moi mon esprit, mes arómes, et qu’ils puissent s’y rassembler.
Bien sur il ne me logera que dans la partie inferieure des ver-rcs pour la mcme raison.
Bien sur il mc servira a la temperaturę a laquelle je pourrai le mieux rrfepanouir.
Alors je serai bien, souriant et heureux. Mais ses amis ?
Sauront-ils commcncer par me regarder par le dessus du verre pour admirer ma transparence et ma limpidite ?
Sauront-ils sur le fond de la nappe blanche admirer ma cou-lcur, ma robę, mes rcflets dans la lumiere naturelle de la pi£ce ?
Sauront-ils ensuite en faisant tourncr doucement leur verre par le pied susciter mes larmes en rangs serres sur ses parois ?
Puis ils devront me humer d'un premier coup de nez sans m’avoir prealablement bouscule; je leur montrerai la finesse de mes arómes primaires, les plus legers.