142 9
Par le biais de leurs dialogues plutót qu'a travers la description, l'ćcrivain apprend au lecteur la cause indigćne :
[Guiscart :] - Pendant deux, trois ans, vivant en Afrique du Nord, je ne pouvais m'empecher d’associer le monde musulman au sentiment de la pitić. Et cela par les faits les plus minces de la vie quotidienne, qui s'offraient a moi sans que je les cherchasse, car je n'ai jamais etudie la question indigene, je ne la connais pas; ce n'est pas mon metier. Les Marocains qui, sur la route, demandaient a monter dans 1'autocar, et que le chauffeur depas-sait sans meme leur faire un “non” de la tete, - les femmes arabes de Tanger employees k ce qu'il y a de plus vil: a l'enl£vement municipal des ordures, -les mendiants arabes, infirmes, auxquels personne ne donnait, alors que le chanteur europeen, valide, de quelque stupide romance, raflait quarante francs a la terrasse d'un seul cafe, - les bergers qui saluaient de la main, sur le bord de la route, les passagers de 1'autocar, et auxquels personne ne rendait leur salut... II est impossible, n'est-ce pas, de regarder davantage une situation par le petit bout de la lorgnette? Mais je te repete que je ne connais que des faits de surface, parce que je suis peintre et ne m'occupe que des surfaces. Et puis il y a surface et surface. II y a ce qui est pose sur la surface, et qui est peu important, et il y a ce qui y affleure, et a son corps dans les profondeurs, et les petits faits que je te dis sont de cette espece-la.406
V.
Ces petits faits tissent le fond du roman qui met en evidence la modification de son protagoniste, Auligny se metamorphosant du fait de son amour pour une indigene, mais aussi sous 1'influence des propos de son aini Guiscart.
Le roman etant anticolonialiste, il ne procede pas par une inflation de descriptions, au contraire, le caractere accusateur de cet ouvrage met en relief le dialogue qui tourne souvent au monologue, d'oii la richesse de reflexions, dechirements, hesitations du heros. Le message de Montherlant depasse urie simple dichotomie colonisateur/colonise car 1'auteur se pose des questions concemant le sens de la colonisation en Afrique du Nord :
“Quelle est la gageure maudite, se demande Montherlant, qui entrame la France dans ces regions infernales, sans autre profit que la satisfaction de vanite des enfants de douze a quatre-vingt-dix ans, quand ils voient sur les atlas la couleur rosę de la France recouvrir une partie de l'Afrique?” Aux colonies, le pouvoir civil ou les autorites religieuses croient faire l'oeuvre utile, mais comment commander, juger, inviter au travail et meme convertir un peuple dont on ne sait rien? Montherlant pour preparer son roman, a lu une bibliotheque de livres jaunes, d'annales judiciaires, d'ouvrages d'officiers et d'economistes concernant la colonie et les protectorats “sans y trouver une tracę de respect de 1'homme pour 1'homme”. La tactique uniforme et regu-
406 H. de Montherlant, La Rosę de Sabie, op. cit., p. 239.