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Clara BRAFMAN
de lecture. Dans ce cas prćcis, le nombre des livres argentins choisis a dćpassć celui des livres ćtrangers. Comment expliquer ce rćsultat ?
L’enthousiasme pour des lectures vćritablement argentines dans Fćcołe nait, au cours des annćes 1880, en meme temps que se deve-loppent, dans la societć, les idćaux nationalistes. La rćforme des pro-grammes de 1886 permet de constater un sensible accroissement des contenus nationaux dans le curriculum. Par ailleurs, a partir de cette ćpoque, les cćlćbrations des fetes nationales deviennent des moments importants du calendrier scolaire.
La premićre manifestation d’inquietude vis-a-vis de la prepondć-rance des livres ćtrangers datę de 1882 et prend naissance dans les ćcoles de la province de Buenos Aires. Dans un article paru dans la revue du Conseil gćnćral de Feducation de la province, on ćcrit: « Le fait de traduire des livres de lecture ćtrangers [Fauteur fait ici allusion aux livres franęais, italiens et allemands] pour les ćcoles publiques et de les considćrer comme les plus aptes h Fćducation des enfants est hautement risquć et peut, avec le temps, compromettre les fonde-ments des institutions nationales et Fidentite des habitants de la Rćpublique ». A partir de 1887, des opinions similaires paraissent sporadiquement dans le Monitor de la Educación.
Sur quels arguments se fondent ces attaques ? Les textes ćtrangers sont d’abord critiques parce qu’ils reflćtent une rćalitć sans rapport avec celle qui existe en Argentine, opinion qui sous-entend - aux dires de ses propres dćfenseurs - que 1’Argentine est un pays qui ne ressemble a aucun de ceux qui existent sur le Vieux Continent. II est ainsi couramment admis que « la vie intellectuelle et morale, la vie poIitique et sociale et meme la vie amoureuse et sensuelle de ces nations [Fauteur se refere ici a la France, a FItalie et a FEspagne] sont completement differentes les unes des autres et que cette diffe-rence est encore plus grandę lorsqu’on compare chacune d’entre elles a FArgentine dont les traditions, Fhistoire, le passe et Favenir n’ont rien en commun avec les peuples europeens cites ». Dans une notę publiee par le Monitor de la Educación au sujet du concours ouvert par le Conseil cette meme annee, Fauteur precise : « Nous avons attire 1’attention des auteurs americains sur la necessite vitale que les textes evoquent la langue, les mceurs et les coutumes nationales ».
Quelle est la veritable signification de ces attaques ? Pourquoi F influence europeenne est-elle ainsi denoncee ? Peut-etre parce que Fimportante immigration en provenance du Vieux Continent, notam-ment italienne mais aussi franęaise - certaines annees, elle est supć-rieure a F immigration espagnole peut etre interpretće comme Favant-garde d’une politiąue expansionniste d’autant plus dange-reuse que le mythe de la Grandę Italie commence h etre peręu, dans les pays du sud du continent latino-amćricain, comme une vćritable