rien est plus faux. Peu dapproches sont aussi souples et aussi pruden-tes que la sienne. II s’agit toujours de laisser parler le texte, de le lirę integralement, sans rien y retrancher et sans rien y ajouter. Si le Dieu cache etait fortement influence par La Metaphysiąue de la tragedie du jeune Lukacs, c’est a partir de sa Theorie du Roman que Gold-mann abordera 1’etude du roman moderne.
L’un des concepts centraux du Dieu cache avec ceux de Totalite et de vision du monde etait celui de conscience collective. C’est la le leitmotiv de la sociologie de Goldmann: il n’y a de sujet createur que collectif. Aucun individu ne peut creer une »vision du monde«, il ne peut s’agir que d’une lente evolution des structures mentales et affectives au sein d’un groupe plus ou moins vaste. En abordant le roman moderne, Goldmann se heurtait a ce paradoxe: comprendre et interpreter une ceuvre individuelle - par opposition aux ceuvres non romanesques du 17eme siecle - qui reflete et exprime une structure globale significative mais sans la mediation necessaire de la conscience collective. Si el roman est l’expression d’une vision du monde, il est impossible de le rattacher a un groupe social determine dont il mani-festcrait les valeurs, meme dans sa definition generale d’»epopee bour-geoise«. A partir de la Theorie du roman de Lukacs, Goldmann a ete amene a formuler plusieurs hypotheses, en particulier celles-ci:
- il existe une homologie entre la structure romanesque, classique et la structure de 1’echange dans 1’economie liberale, et certains paralle-lismes entre leurs evolutions ulterieures.
- selon Lukacs ce qui caracterise le heros romanesque c’est qu’il est problematiąue.33
Comme 1’ecrit Goldmann:
»Le roman est 1’histoire d’une recherche degradee (que Lukacs appelle »demoniaque«), recherche de valeurs authentiques dans un monde degrade lui aussi mais a un niveau autrement avance et sur un modę different«.34
En tant que genre epique, le roman est caracterise - contrairement a 1’epopee ou au conte - par la rupture insurmontable entre le heros et le monde. La rupture radicale seule aurait abouti a la tragedie ou a la poesie lyrique, 1’absence de rupture symbolise le monde de 1’epopee et du conte, le roman au contraire est, par sa naturę, dialectique dans la mesure ou il part de la communaute fondamentale du heros et du monde que suppose toute formę epique, mais aussi de leur rupture insurmontable:
»Le heros demoniaąue du roman est un fou ou un criminel, en tcut cas, comme nous l’avons dit, un personnage problema-liąue dont la recherche degradee, et par la meme inauthentique, de valeurs authentiques dans un monde de conformisme et de
s® Cf. en particulier les essais de Lukacs sur Goethe, et notamment 1'ćtude con-sacree a Wilhelm Meister (Goethe et son kpoąue. Nagel 1949).
34 Pour une sociologie du roman, p. 23.
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