UN DES FAIBLES DE LA FOULE.
„Je ne suis qu’un des faibles de la foule.” Ces mots, qui revelent bien l’esprit de leur auteur, terminent le passage que nous venons de citer. L’assentiment que donnę 1’esprit a la verite n’en entraine pas toujours pour autant 1’adhesion du coeur. L’orgueil humain, 1’obstacle qui reste a vaincre, parait souvent etre insurmontable. Neanmoins — le poete hollan-dais Vondel l’a dit d’une faęon si sublime — seuls ceux qui renaissent en humilite, sont du peuple de Dieu. Si Ton doit en croire Teveque de Meaux, Grotius n’aurait pas ete de ce peuple. Le jugement est tres severe. Ici encore, le juge ne se serait-il pas trompe?
Quand on parcourt les lettres de Grotius, une chose frappe regulierement. Cest que le grand savant, qui possedait toute la naivete des hommes de genie, se montre, particulierement envers son Createur, d’une humilite profondement chretienne. II a tres bien senti la relativite de la grandeur humaine, bien avant Pascal, qui allait donner a ce sentiment une si magistrale expression. Lui, le geant parmi ses contemporains, a pleinement conscience que devant Dieu il n’est qu’un neant. Cest a Lui qu’il a rap-porte tout ce qu'il possedait, savait ou produisait. Cest de Lui qu’il a attendu toute la lumiere. Quand Vossius lui souhaita Penvie et la force de poursuivre sa polemique contrę les caWinistes, il repondit:
„Je prie Dieu de m’accorder ces dons, et de me remettre vite en la bonne voie, si quelque part je suis tombe dans Terreur” 84).
Et dans une lettre qu’a la fin de sa vie il a adressee a son frere, il s’est exprime plus positivement et plus clairement encore:
„Quant a mon livre sur 1’Antechrist, je n’en attribue rien k ma propre activite, mais je dois tout cela aux pri^res qui ont ete faites, et a la bonte de Dieu envers moi, qui ne merite rien de tel” 85).
Ses poemes, ou il nous a livre le plus profond et le plus intime de son etre, sont la comme une affirmation touchante de ce que ses lettres nous laissent ici entrevoir80).
Quoi d etonnant des lors qu'en matiere de religion il ait rompu avec Fesprit heretique de son siecle, et qu,il ait cherche la surete procuree par la tradition et Tautorite? II a montre partout une tendance innee au tradi-tionalisme 87). Son admiration pour FEglise Romaine cadre donc merveil-leusement avec son caractere: sa tradition seculaire, garantie par son institution hierarchique, Ta toujours fascine. II se moque des temeraires qui croient que 1’Eglise peut errer, alors qu’ils considerent leur propre jugement comme infaillible 88). En dehors de ce port si sur, il y a grand
84) Lettre du 2 novembre 1613, MoJhuysen, t. I, p. 277.
85) Lettre du 2 juin 1640, Epistulae, p. 898.
8(;) Ger. Brom, o.c., p. 189.
87) J. en A. Romein, Erflaters van onze beschaving, t. II, p. 61.
88) Lettre a son frere Guillaume du 6 septembre 1642, Epistulae, p. 941.
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