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Le cimetiere s'avere un espace vrai ou ni le mensonge ni la fiction n'ont droit de cite, c'est l'un de ces rares endroits ou l'on peut rencontrer des femmes arabes sans voiles, elles aussi en tant que musulmanes jouis-sent de la liberte dans ce lieu ou regne le calme. L'ambiance apaisante de cet endroit est d'autant plus surprenante qu'elle suit la sequence de l'enter-reinent du ffćre de Rafael; une epreuve douloureuse pour lui, mais en meme temps le moment ou il prend conscience de son identite. Elle est si aigue parce qu'elle se revele au moment de la disparition d'un membre de sa familie et ce fait a une influence decisive sur la formation dc 1'identite de Rafael car la ou l'on enterre ses proches, on a sa patrie; cette idee barresienne n'etonnera pas le lecteur dans ce contexte colonial; le change-ment de ses idees politiques a deja eu lieu et il est evident que pour les colons franęais, chez Bertrand il s'agit des colons du bassin mediter-raneen, 1'Algerie est devenue leur pays. L'enracinement de Rafael apparait clairement:
Je voudrais etre enterre ici... pas la bas, dit-il en tendant son doigt vers Saint-Eugene, du cóte du cimetiere chretien... lei, on doit etre bien pour dormirL. II se leva. Un grand calme l'avait rempli peu a peu, le souvenir de son frere mort s'effaęait. II sentait qu'il avait moins peur de mourir.260
Le cimetiere arabe est ainsi un endroit agreable ou le voisinage des autochtones ne derange plus, au contraire, ce lieu est recommande a cause de sa tranquillite charmante.
L'espace demeure incontestablement lie au temps : la montee vers le cimetiere arabe en constitue un exemple caracteristique; la reconnaissance des endroits connus depuis 1'enfance de notre protagoniste fait penser au Temps sacre selon 1'approche d'Eliade :
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tout Temps liturgique, consiste dans la reactualisation d'un evenement sacre qui a eu lieu dans un passe mythique, “au commencement”. [...] Le Temps sacre est [...] indefiniment recuperable, indćfiniment repetable.261
La route vers le Sud prend pour Rafael les dimensions d'une fete religieuse et chaque nouveau depart est une rćintegration d'un Temps my-thique, passe, donc, si l'on suit Eliade, un temps mythique sacre, toujours recuperable. La permanence du paysage, 1'immuabilite de ses points de re-pere, correspondent, pour Rafael, a la maitrise du temporaire, a la victoire sur le momentane:
260 Ibid., p. 340.
M. Eliade, Le sacre et leprofane, ed. Gallimard, coli. Folio essais, 1987, p. 61.
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