15 Notes de lecture 191
Comme le souligne Solange Leibovici, ce dilemmc sera partage par la plupart des intellectuels franęais pendant les annees trente. En ce qui conceme Drieu, 1’auteur ne croit pas a une «conversion» de celui«ci au fascismc, en 1934. La haine qułil nourrissait a Pegard de son pere et du monde que celui-ci symbolisait, la mythologie personnelle compensatrice, virile et guerrierc, qu’il avait forge, encourageaient Dricu a se reconnaitre dans le modele fasciste et a cherchcr Pautorite d’un homme fort. Mais Padmirateur des grandcs cćrćmonies nazies ne se donnera ainsi que Pillusion de Paction, comme le montre Solange Leibovici, qui compare la presence de Malraux au cceur de la guerre civile espagnole avec lc choix de Fencre que fait Drieu a travers la creation de Gilles, «aventurier de papier et d’encre qui part jouer les heros en Espagne».
L’echec de Paction po!itique dont Drieu a la douloureuse conscience pendant ses dernieres annees ne sera pas compensee dans son esprit par le succes de la creation littćraire. Drieu a doute (Je lui en tant qu’homme paction, en tant qu,homme tout court mais aussi en tant qułecrivain. ^a haine de soi qui est un symptóme des nćvroses obsessionnelles va s’amplifier chez lui et la tentation du suicide, qu’il eprouve depuis sa jeunesse pendant les periodes de crise, va se concrćtiser plusieurs fois avant d’aboutir en mars 1945. Supreme expiation de son impuissance et de sa stćrilite, la mort qułil se donnę est, selon Solange Leibovici, une demiere tentative que fait Fecrivain pour sauver son ccuvre en esperant pour elle un statut posthume qu’il n’aurrait pu revendiquer pour son action politique.
Florin Tur ca nu
ANGUS FRASER, The Gypsies, Blackwcll, Oxford U.K. et Cambridge U.S.A. 1992, 359 p.
Savez.vous qucl est le titre du roi des Tziganes dans la languc de ses sujets? Kralis, derive d’une formę grecque du mot slave qui designait le roi dc Serbie et qui, comme kiraly en hongrois, era i en roumain, król en polonais ou Korol en russe, gardę le souvenir illustre de Charlemagne lui-meme, Carolus Magnus. Et savez-vous pourquoi le mot tzigane et hintjou pour «grenouille», hengy a acquis la signification de «diable», le meme sens qu’en roumain ou il est atteste comme nom ou, plutót, sumom au XVT siecle? C’est parce que, devant les icóncs byzantines qui representaient St Georgcs foulant le dragon aux pieds de son cheval, il etait possible de confondre reptile dćmoniaque et batracien immonde. Lłexplication est ingenieuse, quoique peu convaincante. De tels details sont nombreux a glaner a travers cette utile monographie qui figurę dignement dans une serie consacree aux Pcuples d’Europe.
Europćens, pan-europeens meme, les Tziganes le sont depuis un millenaire, car la premićre source qui enregistre leur presence a Constantinople est une vie de saint georgien composee au Mont Athos peu apres 1060. Leur nom byzantin, a0ivyavoi, d’ou le tenne vieux-roumain a/igani, signifie «lcs intouchables». Lłauteur retrace avec prudence le trajet qu,ils ont prćsumablement parcouru ■ Inde, Perse et Armenie - avant de se repandre dans le monde byzantin et balkanique. Cependant, il n’envisage a aucun moment la possibilite que leur diffusion dans le Sud-Est de FEurope soit duc a Tassociation des Tziganes avec les Mongols et qu’ils fussent par consequent entraines dans le sillage de la grandę invasion de 1241. Cette explication, proposee par Iorga, dont on a completement oublie la contribution a la Weltgeschichte de Helmolt, qui inclut un chapitre sur les Tziganes, repose, il me semble, sur le nom tatarasi / tataruęi, «petits Tatares», que les Roumains donnaient aux Tziganes, ainsi que sur le statut commun assigne aux uns comme aux autres dans les Principautes, ou ils formaient la elasse des esclaves. Or, au Moyen Age, pour les Allemands du Nord et aussi pour les peuples scandinaves, les Tziganes sont des «Tatares» ou des «Tatares Noirs»: dans la symbolique chromatique des peuples orientaux, «noir» est synonyme de «non-libve». Les exemples d’emprunts du roumain qui se retrouvent dans certains parlers tziganes ne sont pas toujours bien choisis. Et, pour ne pas nous attarder sur les disputes philologiqucs, Finformation historique laisse parfois a desirer: ainsi, il nłest pas possible d’affirmer que les «Latin-speaking VIachs» ont emigre de Transylvanie pour coloniser la Valachie et la Moldavie aux XIlh* et XIVc siecles sans commettre une erreur surprenante.