9 Notes de lecture 185
JOHN STOYE , Marsigli ’s Europę 1680-1730, The Life and Timęs oj Luigi Ferdinando Marsigli, Soldier and Yirtuoso, Yale University'Press, 1994, 356 p.
L/oimage dont nous nous emprcssons de saluer la parution est la premierc veritable biographie dc Marsili (nous nous tenons a Portographe italicnne) et en mcmc tetnps un livre fascinant sur son ćpoquc. Car, en nous cntrainant a la decouverte dc la vie ct de Pu:uvre du savant et du soldat auquel il a consacrć une etude d’une ćrudition aussi etendue que perspicace, le professeur d’Oxford nous fait entrer dans plusieurs mondcs tres differents: celui de la noblesse oisive et mcsquine de Bologne, celui des legations de Constantinople, celui des etats-majors autrichiens, celui, rude, de la frontiere ottomane du Danube et cnfin celui de la Repubhque des Lettres.
C’est un personnage bien attachant, cct Italicn remuant, d’une energie et dłune curiositć sans bornes, vaniteux et prompt a recriminer, theatral et opiniatre. On dirait qu*il a vćcu plusieurs vics a la fois et a un tram d’cnfcr. Le plaisir quc Pauteur a eu de reconstituer paticmment une telle activitć multiple, on Peprouvc soi-meme a chaque page ct, lorsque le lecteur se trouve avoir une eertamc connaissance de Marsili ct des circonstances, il doit avouer que le jugement est toujours juste, menie sur des personnages secondaires que le protagonistc nła fait que croiser au passage. Ainsi, par cxemple, Peveque catholique bulgare Antonio Stefani (Stefanov), qui inerite bien les quelques lignes au sujet de ses intrigues (pp. 65, 88) dont fut victime le pseudo-despote Georges Brancović. On pourrait egalement citer, comme prouvant la meme comprehension a Pegard des hommes et de leurs actions, le passage sur les rapports entre Marsili et Paul Rittcr Vitezović Quiconque a eu Poccasion de travailler sur les manuscrits de Marsili admirera la profonde familiarne de Pauteur avec cc fouillis d’csquisses, de memoires, de dissertations et de lettres. A part les papiers de Bologne, on a etudie attcntivement les originaux de la corrcspondance dc Marsili avec Vicnne, conserves aux archives imperiales (cłest la qu’on peut encore glaner bon nombre de pieccs concernant les pays roumains dont Marsili eut une expćrience directe). Ou encore, s’agissant de la publication en Hollande de Pałuvrc monumentale de Marsili, le Dcinuhius Punnonico-Mvsicus, on est alle jusqu’a deterrer dans les paperasses d’une etude de notaire son contrat avec les editeurs. Parmi ceux-ci il y avait un huguenot nć a Halle et etabli aux Pays-Bas, Franęois Changuyon, qui doit ćtre celui-la memc auqucl les hćriticrs dc Cantemir ont confie le manuscrit de la Descriptio Moldaviae.
Pour nous, qui sommes en train de prepaici uneedition du nis. 108 de Bologne (Descrittwne nuturale, civile et militare delle Misie, Dacie et Mirko), il nous est difficile dłetrc d’accord avcc la breve et froidc mention que lui accorde Pauteur, p. 161, mais c’est peut«etre a cause de Pabsence de rccul critique qu’on pourrait nous imputer.
La correspondance de Marsili doit etre eparpillee un peu partout en Europę. Cest umquement pour marquer Pinteret que doit susciter cette source insuffisamment cxplorćc que nous signalerons ici trois lettres inedites (Universiteits-Bibliothcck, Amsterdam) adressćes a Pieter de la Court vander Voort, medecin et ami de Boerhaave. Elles sont datees du 20 septembre 1722, du 27 janvier et du 23 mars 1723, donc pendant le sejour de Marsili a Amsterdam, et elles ont trait, toutes les trois, aux preocuppationsd’histoire naturellequi ont inspirć 1'Histoirephysicjue de la Mer. Lorsqu’il ecrit: «Jłenvoie ci-joint le livre nouvellement imprime de Phistoire de Plnstitut», Marsili entend naturellement Pouvragc de H. P. de Limiers Histoire de TAcademie appelee Institut des Sciences et des Arls etabli d Boulogne en 17/2 (Amsterdam, 1723).
Lorsqu'on deplore, souvent, la crise actuelle de Phistoriographie, on ignore des travaux de premier ordre comme celui-ci qui, heureusement, nous rassurent sur la vitalite de la tradition erudite.
Andrei Pippidi