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dans une region ćtrangirc, les justes chitimcnts dus au vil calomniateur, k l’ćcrivain obscene, au satirique efTronlć (!). Si ma vic sYtcnd au dęli des horncs ordi-naires, je ne souillerai point de fiel les bords de mon tombeau ; je n’abuscrai point de ]'indu]gence qu’on accordc au nombrc des annćes, pour me permettre des infamies dont on n’aurait pas fait grftcc i ma jcu-nesse ; je ne donnerai point au monde lc spectacle d’un vieillard mćcontent, chagrin, jaloux et colire ; je ne finirai point mes jours dans les tortures de l’en-vie et dans le dćsespoir du bannissement. C’est au sein de ma patric, au milieu de la capitale et de mes concitoyens, sous les yeux des depositaires des lois de la litterature, quc j’ai pris, quc je tiens et que je quitterai la plunie, quand ma main treinblanlc ne pourra plus la conduire. * Annee lilt., 1772, 1. Preambule.
Voltaire, inal^rć MS insuccis, continuait & produire pour le thćltre. Frćron raillait dćsormais sans pittć les avortons sortls dc la plume du vieux et trop freond mćtromanc. Apris les Pelopidet, reprise informc dc 1 'Atree et Thyeste de Crćbillon, 11 tcrivait :
Quelle etonnante fćcondite, Monsieur, que celle de M. de Voltaire ! 11 ne donnę i sou esprit aucun dćlas-sement, aucunc relache a ses lecteurs. C’est un volcan dont les óruptions sont continues, et qui vomit tou-jours, ne fut-ce que des pierres, des cendres et de la fumće.
11 n’est point de semaine, que dis-je, il n’est pas de jour qu’on ne voie paraltrc quelque nouvclle produc-tion de cct inćpuisable ecrivain. Un journal, unique-ment chargć de tous les ouvragcs dont il inonde la terre, aurait beaucoup dc peine i suivrc la rapiditć
(1> Aprćt lc Dtettonnaire ph(tosoph(que, Yoltalrc cralgnant d'łtre pourtulYi, hAU dc patacr tu Sui»»c.
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Ac ce torrent. C’cst un nouvcau Cassius qui, scmbla-ble & 1’ancien dont parte Horace, a fait unc si grandę consommation de papier, que ses ćcrits ct ses porte-feuilles suffiraient pour son bucher.
Si Kon attache lc mćrite au nonibre des volumes, M. de Vo)laire est, sans contredit, le plus grand homine de lettres que la naturę ait crćć ; mais, si l’on ne juge du talent que par la bontć des ouvrages, j’ai bien peur qu’il ne se soit trompe dans le choix des moyens de se faire un nom illustre ct durable. l*e gćnie et le gofit n’ont jamais connu 1’in-folio ou l’in-quarto. Hom£re, Sophocle, Euripide. Pindare, Horace, Yirgile, lc Tasse, ctc., n’ont point laissć des mon-ceaux de vers et de prose. Notre divin La Fontainc ticndrait dans dcux petits volumcs. Hoileau n’en a pas davantagc, ainsi que Hacine, le grand Rousseau, etc. On mettrnil tout Corneillc et tout Molićre cn quatrc tomes.
M. de Voltaire n’a pas senti que 1’enormitć nieme de sa collection ne peut que nuire a sa gloire ; je ne dis pas dans le moment actuel ou ses enthousiastes sont convenus d’admirer sans rcstriction tout ce qui sort de sa plunie. Mais dans cinquante ou soixante ans, lorsquc 1’idole et les adorateurs auront disparu, nos neveux scront effrayćs & la vue dc ce prodigieux amas dc livres composćs par un seul homilie. lis n’ose-ront jamais entreprendre dc si longues lectures. Qu’ar-rivera-t-il ? Un ćditeur inlclligent ćlaguera de ces <ruvrcs tout lc fatras qui les dóshonore, choisira će qui s'y trouve reellement de bon, et les rćduira d’apr£s les principes invariables du gotit...
Cependant beaucoup dc lectcurs auraient a cet ^gard de 1'indulgencc pour l’;\ge du poete, s’il n’avait encore toute la fouguc et toute 1’audace de la jeu-nesse, s’il n'insultait pas & la mćmoire des plus cćlć-bres ócrivains, s’il ne dćprimait point leurs chefs-d’ocuvre, s’il n’avait pas la folie pr^somption de les refairc.