Inquieter quelqu'un, ensuite, est beaucoup plus courant. Le verbe sous cette formę etablit une relation particuliere entre la source de l'inquietude et son objet. On retombe dans un registre emotionnel actif, c'est a dire que si « l'avenir du pays m'inquiete », cela signifie non seulement que je suis dans 1'incertitude et dans la crainte vis a vis de l'avenir du pays, mais egalement que cette question me tient particulierement a coeur, car c'est directement a moi, 1'objet direct, que cette inquietude s'adresse. Cette formę verbale sous-tend tout ce que l'inquietude a d'actif, c'est a dire toute la propension a agir que la menace psychique fait naitre chez 1'etre humain. De plus, cette formę courante revele combien celui qui l'emploie tient a se reapproprier les facteurs de l'inquietude. On est soumis a l'inquietude, puisqu'on est la souris que mange le chat, et pourtant, le « m' » est le vrai sujet de la phrase.
Les formes passives du verbe inquieter revelent encore une fois de nombreuses nuances dans 1'apprehension de ce futur lointain ou proche qui nous angoisse. La difference entre s'inquieter (ou etre inquiete, ou meme etre inquiet) de ou pour quelque chose montre que si l'inquietude peut etre diffuse pour celui qui la produit (quelqu'un ou quelque chose inquiete) et pour celui qui la subit (etre inquiet, de maniere generale), elle peut aussi avoir en son sillage une myriade de protagonistes. II y a ce qui inquiete (je m'inquiete de la multiplication des bavures policieres liees a 1'utilisation du flash-ball), celui qui s'inquiete (moi), et ce pour quoi il s'inquiete (je m'inquiete pour mes enfants qui font souvent des manifestations), sachant que Ton ne s'inquiete effectivement pas que pour soi-meme. La difference entre etre inquiet et s'inquieter reside dans la position du sujet, position qui s'accompagne d'une certaine temporalite. Etre inquiet, c'est avoir deja anticipe le danger, c'est avoir deja une position, c'est avoir deja reflechi au probleme, tandis que lorsque 1'on s'inquiete, 1'on est au coeur meme du processus de reflexion; on est en voie de tirer les conclusions qui s'imposent.
La formę etre inquiete, souvent utilisee de maniere intransitive, a une consonance judiciaire. On est inquiete par la justice. Cette formę va d'une certaine maniere a 1'encontre des bases memes du droit; la justice devrait rassurer, quoi qu'il arrive. Le droit est le fondement de nos societes occidentales (nous vivons dans des etats de droit); le droit devrait etre considere comme une normalite; meme si le crime parfait reste un reve toujours d'actualite, tous les criminels savent que la normalite veut que leur crime soit puni. L'entree en scene de la justice est donc un element retablissant la normalite, aux antipodes, theoriquement, de l'inquietude qui nous laisse dans l'incertitude. Mais l'inquietude que la justice apporte tient en une autre incertitude: celle de l'avenir individuel du criminel. Tant qu'elle n'a pas rendu son verdict, la justice fait flotter le criminel dans un espace symbolique de meconnaissance de sa situation futurę. L'attente est insupportable. Le couperet a venir, celui de la guillotine, est le point de rupture proche qui change nos vies.