664 SCIENCE CRIMINELLE ET DROIT P£NAL COMPARE
Selon 1’auteur ces structures ont tellement pese sur les proces politiques de la pe-riode 1964-1985 que l’on serait autorise a en conclure qu’« en U.R.S.S., le droit n’est qu’une apparence, la loi un masque, le juge un policier deguise ».
Cette conclusion serait rapide, vu la diversite des conceptions du droit. Aussi Panalyse sera-t-elle menee plus avant par 1’auteur et ceci a 1’aune des droits de 1’homme, bien que « les articles enonęant les droits et libertes de 1’homme restent pour le moment inchanges dans la Constitution de 1’U.R.S.S. ».
Le Preambule, comme 1’article 59 de la Constitution sovietique, lie les droits et libertes des citoyens a leurs devoirs et responsabilites a 1’egard de la societe. Et toutes les libertes aflirmees sont susceptibles de restriction prevues par la Constitution elle-meme et/ou par des lois particulieres, de faęon plus ou moins precise.
C’est ainsi que la liberte d’opinion, « pierre angulaire des libertes », s’exerce « conformement aux interets du peuple » : la formule, ambigue, peut dans une op-tique restrictive s’interpreter comme motif de limitation. II est en outre a remarquer que ce sont les libertes du citoyen et non celles de l’individu qui sont visees.
Selon Nadine Marie, ce systeme ne trouve aucun garde-fou dans les textes intema-tionaux ratifies par 1’U.R.S.S., notamment les Pactes des Nations Unieś, qui eux-memes autorisent tres largement des restrictions, pour motifs d’interet generał, aux droits qu’ils garantissent. En recourant a la fois aux restrictions imposees par la legis-lation inteme et a celles enoncees par les textes intemationaux 1’Etat, jouirait d’une double protection contrę 1’abus de toute liberte.
Nous ne suivrons pas cependant 1’auteur quand elle exprime que « les Etats sont souverains pour determiner 1’applicabilite des restrictions etablies par le Pacte et leur compatibilite avec les droits qu’il proclame » (p. 75 in fine) dans la mesure ou le Comite des droits de 1’homme des Nations Unieś assure, quand sa competence est re-connue, un contróle de la legalite, de la legitimite et de la necessite des mesures res-trictives, contróle s’apparentant a celui exerce par la Cour europeenne des droits de 1’homme.
Nadine Marie etudie ensuite la repression des libertes tant du point de vue des in-criminations specifiques (notamment le fameux article 70 du codę penal visant 1’agitation ou la propagandę anti-sovietique) ou derivees (houliganisme, parasitisme), incriminations tres larges autorisant des interpretations extensives, que du point de vue des sanctions (peines proprement dites, intemements psychiatriques) et des proces politiques ; a cet egard 1’auteur depasse le rejet affirme par la doctrine sovie-tique du concept d’infraction politique pour nous soumettre sa propre typologie illus-tree des diflerents types de proces intentes aux dissidents : proces d’opinion, proces de dissidents religieux, proces de syndicalistes dissidents, proces de citoyens desireux d’emigrer, et constater que la « refonte » engagee par Gorbatchev a suppose l’arret de ces proces et la liberation d’un grand nombre de prisonniers politiques.
Cette politique de refonte {perestroika) doublee d’une politique de transparence (glasnost) s’est ainsi d’abord fondee sur les leęons du passe : sont actuellement de-nonces justice sommaire, proces fabriques, legislations d’exception, regime moyen-ageux de la preuve (systeme inquisitoire, valorisation de Paveu) qui ont marque 1’histoire judiciaire de 1’U.R.S.S. Ce n’est qu’a partir de la mort de J. Staline, en 1953, qu’une liberalisation a pu s’amorcer et en 1958 un retour a la legalite etait ebauche avec la reformę de la legislation penale.
Cependant, ce passe « d’anti-justice » survivra encore longtemps et c’est ce que la glasnost est censee eclairer ofliciellement. II apparait alors que la « presomption d’innocence » est tres difficile a faire respecter en pratique, que la religion de l’aveu perdure, que la « derive accusatrice » qui atteint de nombreux magistrats insuffisam-ment formes est source de multiples erreurs judiciaires, malgre une sensible baisse des condamnations dans leur quantite comme dans leur taux. Mais surtout 1’independance du pouvoir judiciaire n’est pas garantie.
Rev. sciencecrim. (3), juill.-scpt. 1990