eTUDES, YARlfiTĆS ET DOCUMENTS 525
Et tout a fait Jogiquement, a Finverse si Fon peut dire, le « majeur » atteint d’incapacitć physique ou mentale va perdre ses droits et devoirs d’adulte sur decision d’un conseil de familie special : il revient alors, a son insu (?) a 1’etat de minorite et sera traite comme un enfant. A ce titre il sera represente par un gardien designe a cet effet dans les decisions qui ponctuent la vie de la tribu. (Avec ce grave inconvenient que cet etat d’incapacite, connu du seul monde coutumier, echappe en principe au monde exterieur a la tribu de sorte qu’il n’est pas impensable de voir ce majeur pour-tant incapable participer directement a des actes juridiques relevant du droit commun).
L’incidence de Fetat A'infans ou de celui d’adulte au plan de la sanction coutumiere reste, il est vrai, mai definie... Certes, Fenfant sera-t-il moins severement puni, mais il s’expose a Fetre plus souvent Ge simple fait de desobeissance, caracteristique de son etat de dependance, pouvant donner lieu a sanction, soit directement infligee par son tuteur naturę!, qui n’est autre que Foncie matemel — signe d’une societe a preponde-rance matriarcale — soit, si la faute est moins venielie, par ordre du conseil des anciens).
Appreciation qu’il comńent aussitót de replacer dans le contexte tribal ou la faute d’un jeune qui a pu troubler « Fordre public » de la tribu peut rejaillir sur tous les autres jeunes de cette meme tribu au moyen d’une sanction collective3.
De meme, convient-il de souligner Fimportance de Fappartenance de Findividu fau-tif a tel groupe social determine : fils de chef ou d’ancien, il beneficiera a ce titre d’une sorte d’immunite prealable liee au souci de ne pas entamer Fautorite de la « chefferie ». Mais qu’il prenne gardę : s’il persistait dans son comportement bla-mable, il pourrait bien etre alors « entoure » (aux sens propre et figurę) par certains membres de la tribu et cette sollicitude n’aurait rien de charitable puisqu’elle pourrait simplement cacher le veritable but recherche, celui de laisser mourir le coupable (ou fauteur de trouble) par empoisonnement, par exemple...
Bien que la question plus generale de Fincidence du sexe du coupable sur la sanction infligee soit marginale a notre propos, disons que si certaines pratiques coutu-mieres font apparaitre une plus grandę indulgence a Fegard des filles, un palabre reunissant grand chef et petits chefs de File des Pins en 1986 proclame qu’« il n’y aura pas de distinction dans Fapplication des peines a Fegard des filles et des gar-ęons » ; on peut toutefois s’interroger sur le point de savoir si cette proclamation constitue un simple rappel du principe ou FafFirmation d’une volonte nouvelle. Nous penchons pour cette seconde hypothese. II est connu qu’en matiere d’adultere, par exemple — toujours punissable au regard de la « loi melanesienne » — 1’homme coupable est plus severement sanctionne que sa complice : tandis qu’il encourt la castra-tion, elle ne s’expose qu’au seul bannissement de la tribu, peine ou elle entraine cfailleurs son legitime epoux (coupable sans doute de « negligence au foyer » : curieux emprunt de criminalite !...). On voit bien ici que la relative indulgence dont beneficie la femme ne s'explique que par son etat suppose de plus grandę faiblesse ou yulnerabilite.
Nous voici en verite bien loin de notre conception individualiste et emancipatrice du droit telle qu’elle a ete eclairee par la pensee phiIosophique du siecle des Lumieres.
On peut en tout cas s’etonner que notre droit refuse d’efTectuer cette synthese entre statut civil et statut penal de Findividu en continuant de considerer un jeune pere de
3. On cite l’exemple recent suivant : une jeune femme originaire de Lifou (district de Lossi) et ins-tallee depuis quelqucs annees a Noumea revient dans sa tribu prendre quelques jours de repos. Or, un vol venait d’y etre commis par une autre jeune femme. Sur ordre du grand chef (ou du conseil de district), toutes les jeunes femmes de la tribu furent flagellees, y compris 1’infortunee transfuge qui revint a Noumea porteuse des marques cuisantes de 1’infiimie, et jura — mais un peu tard — qu’on ne l’y prendrait plus !
Rer. sciencecrim. (3), juill.-sept. 1990