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Si Gide est d'accord, (et c'est plutót un consentement politique) avec la formation d'«une race nouvelle» d’ou l'on exclut l'Arabe, sa fascination de ce monde va jusqu'a la volonte de s'identifier avec lui et de partager son sort pour parvenir a un etat de passivitć qui pourrait signifier pour l'auteur le bonheur:
Je voudrais avoir assez faim, quelque jour, pour dćsirer manger de ces pois chichę - une pleine poignee que le marchand prendrait a meme dans la jatte et verserait dans un comet de papier couleur paille, que la saumure tacherait. -...avoir assez soif pour boire au goulot de 1'ume de cuivre que cette femme, dont je ne puis voir le visage, tient sur sa hanche et vers ma lćvre chaude inclinerait. -
...fatiguć, dans cette echoppe, attendre le soir, et n’etre, parmi ceux que le soir y rassemble, indistinct, qu'un parmi quelques-uns, simplement.
...oh! savoir, quand cette epaisse porte noire, devant cet Arabe, ouvrira, ce qui 1'accueillera, derriere...
Je voudrais etre cet Arabe, et que ce qui 1'attend rrtattendit.367
Demandons-nous apres Jacqueline Chadoume si cette obsession de «la stagnation va le ramener a Paludes, aux lagunes, aux polders, ou a la mer interieure encroutee de sel d'El Hadf? II refuse de se le demander.»368 Cependant sa quete du bonheur en Afrique du Nord peut etre comprise comme la recherche d'un univers totalement oppose entierement au monde Occidental; son desir profond de devenir quelqu'un d'autre que celui qu'il est en Europę, n'est pas seulement le resultat d'un refus de son identite, il vient aussi d'un besoin d'alteritć radicale qui peut etre assouvi par le non-Occident, par l'Afrique. Une fois immerge dans le monde africain, il ne s'y sent pas «ćtranger [...], Gide s'y naturalise d'instinct, il s'y “empayse” s'il est permis d'opposer ce neologisme au terme depaysement. Humanistę au sens le plus large du mot, il fait sień un monde qui a tout autre, hors les natifs, serait etranger.»369 La ligne de partage entre Je et ses person-nages n'est pas toujours tres nette.
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Rappelons que les personnages de la nouvelle de Colette Le Rendez-Vous, architectes franęais accompagnes a Tanger de deux femmes aussi franęaises, sont confrontes a un jeune homme arabe, Ahmed, qui vers la fm du texte devient celui autour de qui vont osciller les choix moraux des 347 Ibid., pp. 150-151.
368 J. Chadoume, Andre Gide et l'Afrique, op. cit., pp. 92-93.
369 Ibid., p. 203.