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«[...] il a voulu le compliquć turban des hommes. Athman a depense tout ce qu’il a pour son “costume”; il s’est fait beau pour le revoir.»219
La presentation de son ami est suivie de la description du trajet durant lequel «le fabuleux Orient nous est tranquillement apparu dans sa pacifique dorure.»220 Le prodigieux du paysage oriental est un prolon-gement de la feerie vestimentaire du jeune Arabe, l’individuel et l’excep-tionnel sont de nouveau transportćs sur un plan plus large, global meme. Remarquons que le sens du mot «Orient» se situe ici dans son acception mythique, lić d’une part au faste byzantin, d’autre part a la serenite et au bonheur. Disons apres Raymond Tahhan que
Gide ne se soucie pas de circonscrire son Orient, ne cherche pas a tracer les frontieres de ce continent. [...] II confond la civilisation mauresąue avec la civilisation persane, etablit des analogies entre des civilisations differentes. [...] II se preoccupe peu des realites contemporaines de 1’Orient [...], il laisse ce soin aux historiens, aux sociologues.f..] II a toujours juge 1’Orient d’un point de vue exclusivement personnel, [...], c’est pour lui le seul vrai, le seul juste et le seul valable.221
Athman lit comme Bouvard et ecrit comme Pćcuchet. II s’instruit de toutes ses forces et copie n’importe quoi. II prefere la Jole de Maguelonne, de Herold, k la Tentative amoureuse; il trouve ma Tentative mai ćcrite. Vous employez trop souvent le mot “herbe”, me dit-il. Je lui donnę les Mille et une Nuits. [...] Le lendemain il n’arrive qu’& dix heures, encore lourd de sommeil; lui et son ami ont lu 1'histoire cTAladin jusqu'a deux heures du matin, raconte-t-il; et il ajoute: “Ah! nous avons passć une bien bonne soiree nocturne!” - Nocturne, pour lui, c’est quand on veille.222
L’attitude patemaliste de Gide est trop evidente pour etre passće sous silence. Evidemment, on ne trouvera pas chez cet ćcrivain de propos racistes, mais des propos pareils a celui indique ci-dessus temoignent a quel point 1’auteur a conscience, en tant que Franęais, de sa mission civilisatrice, ce qui n’exclut en aucun cas le respect de 1’autre car Athman est le vrai heros d'Amyntas. En compagnie de Gide et de Jammes, Athman
fait des vers et parfois trouve de jolies choses : Sous les palmiers, il n’y a pas de concerts... ou encore :... Celui qui connait/L 'amour a bien bu l’eau amere / Et le temps ne 1’interesse plus. mais j’ai peur, souvent, qu’il ne les trouve par hasard. D’ailleurs, il n’a que dix-sept ans.223
119 Ibid., p. 39.
220 Ibid.
221 R. Tahhan, Andre Gide et l'Orient, Impr. Abece, 1963, pp. 21 et 27.
222 A. Gide, Amyntas, op. cit., pp. 44-45.
223 Ibid., p. 47.