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la Place (du Gouvernement) apparut avec son ćclairage de dćcor, les hautes faęades blanches des maisons, ou luisaient les lettres d'or des enseignes, les palmiers de la Regence aux verts etranges qui semblaient des arbres de feerie.250
Cet espace est circonscrit, limite a une agitation permanente des gens de toutes les races latines dont dependra, selon Bertrand, l'avenir de I'A1-gerie, d'ou la misę en valeur des vivacitć et fraicheur de ces peuples, surtout du peuple espagnol, qui contrastent avec la paresse stereotypee des autochtones.
Tout au fond, les glaces des cafes populaires ouvraient des perspectives pro-fondes, peuplees de tetes pales et multipliant les lumieres comme des illumi-nations. Les chaises et les tables des terrasses, toutes remuantes d'hommes et de femmes en cheveux, debordaient jusque sur la chaussće ou la foule tour-nait lentement [...]. Ramon, pris par le mouvement de la foule, se sentit res-saisi par cette trćpidation febrile, qui tout k 1'heure exaltait les conversations et faisait luire les prunelles aux tables de 1'auberge. L'enervement du sirocco s'y ajoutait. Plus que jamais il avait envie de se battre.251
Cette vivacitó du peuple algerien (qui habite 1'AIgerie) n'est pas indif-ferente aux conditions climatiques qui influent souvent sur le comporte-ment des gens : dans le texte cite ci-dessus, l'enervement du au sirocco correspond a la surexcitation de Ramon. Pendant son voyage vers le Sud africain, au moment de s'approcher du desert de Bougzoul a un moment crucial de la joumće, a midi, Rafael fils de Ramon, eprouve
une surexcitation etrange, une sorte d'ivresse (qui) doubla 1'acuite de leurs sens (de Rafael et de ses compagnons de route). Les vibrations de la lumiere emportaient la terre elle-meme, qui ondulait comme une vague. Le tourbil-lon brulant les enveloppait, fondait le poids de leur chair, allumait leur sang. Leurs dreilles bourdonnaient d'un grand chant farouche, qui montait des choses avec le mouvement furieux de 1'espace; et ce chant prenait une voix dans la melodie aerienne des fils, qui, sur les poteaux du telćgraphe, vibra-ient au choc de la chaleur, dominant de leurs modulations tenues la strideur incessante des sauterelles. Cetait le rythme de la terre ardente. II precipitait leurs pensees et les epanouissait en de prodigieux reves. Rafael sentait sa force grandir demesurement. Un besoin de paroles 1'obsedait.252
Comme son pere presente dans la citation precedente, Rafael se lais-se stimuler par 1'espace qui lui facilite la decouverte non seulement de ses
250 Ibid., p. 15.
251 Ibid.
2,2 Ibid., p. 61.