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L'Orient se montre donc une acception fort difficile a definir de faęon objective la ou 1'imaginaire decide de sa signification; il reste une notion floue, trop imprecise, dans laquelle on passe de la fascination au mepris. Le XIXe et le XXe siecles apporteront leur Orient, selon la formule d'Alain Buisine; le leur, cela veut dire celui vu par 1'Occident, ou au contraire celui qui ne se laisse pas voir, qui se derobe aux regards occidentaux et qui se cache derriere un voile pour augmenter la curiosite de l'Occidental. Un tel Orient, produit de 1'imaginaire Occidental, vit de sa propre vie, il repond aux besoins bien concrets de ses createurs et de leurs disciples qui ne se preoccupent pas du bien-fonde de cette idee; d'ailleurs ce n'est pas leur role. Edouard W. Said explique d'une maniere exhaustive comment on a reussi a inventer 1'Orient ou plutót 1'orientalisme.
Comment 1'oriental arrive-t-il a s'inserer dans les ouvrages que nous analysons est une question qui nous interesse particulierement, car la litte-rature coloniale se tenait a distance de tout ce qui etait fantasme, exotisme du decor, cliche oriental, mais la pratique s'averait cependant trop mar-quee par le mirage oriental. Le plus orthodoxe des ecrivains coloniaux, Louis Bertrand, n'amve pas a maitriser son penchant pour le cliche oriental, bien que ce cliche ne conceme que le decor, comme cette immortelle casbah labyrinthique d'Alger dans laquelle errent tout d'abord Ramon, puis son fils Rafael a la recherche des «gazelles»; evidemment il serait difficile de passer sous silence cet aspect de la vie a Alger; en plus, Bertrand reste toujours fidele dans la redaction de son livre a 1'ecole naturaliste selon laquelle le roman devait avoir un caractere documentaire, donc, 1’ecri-vain se croyait oblige de decrire la vraie ville, ici Alger; precisons encore que ce decor est l'u.n des rares endroits indigenes montres dans ce roman.
Le bumous entre aussi dans 1'ensemble des accessoires orientaux : rare chez Bertrand, decrit beaucoup plus souvent chez Randau, omnipre-sent chez Eberhardt, inquietant et annonęant 1'impenetrable ame arabe chez Montherlant, objet de contemplation chez Gide, il devient plus qu'un accessoire, il est un signe de la presence de 1'Autre, manifestee par cette habitude vestimentaire exceptionnelle qui renforce 1'alterite, mais qui excite aussi la curiosite. Le bumous n'est donc pas chez ces ecrivains un simple element surajoute pour creer une ambiance orientale, s'il apparait, sa presence est justifiee et elle pourra mesurer le degre de sympathie qu'eprouvent ces ecrivains pour 1'indigene, mais non seulement la sympathie : car le bumous couvre et en meme temps protege l'Arabe contrę la chaleur ou le vent, mais symboliquement cet habit cache son identite, il devient ce voile feminin dont parle Buisine qui ne permet pas a 1'etranger,