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Rappelons a cet endroit Pascal Bruckner qui resumant les arguments de Levi-Strauss, revćle que
A la phobie du “divers”, caracteristique de la phase expansionniste, s'est substituće une toquade pour le primitif, a qui l'on accorde d'emblee toute la generosite, toute la purete que l'on se refuse.452
La nostalgie occidentale du monde primitif est fondee sur le negatif de sa propre image. Le primitif, conęu dans 1'imaginaire europeen, est membre de la communaute immobile a laquelle aspire celui qui vit dans un monde en mouvement (nous avons rappele cette binarite apres Bruckner) : pour Andrć Gide ce lieu de repos est appele Arcadie, dans laquelle
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le temps, ce plus grand ennemi de 1'homme, se trouve aboli : «Ici le geste insoucieux cueille chaque instant sans poursuite; 1'instant, inepuisablement se repete; 1'heure redit 1'heure et le jour la joumee.»453
Outre la suppression du temps, 1'Arcadie africaine de Gide se trou-vant aux antipodes de l'univers europeen, apporte la serenite et le calme (la recherche continuelle deTimmobilite) difficiles a eprouver en Europę :
Le ciel, a 1'occident, etait d'un bleu tres pur, si transparent qu'il semblait encore plein de lumiere. Le silence devint admirable; on n'y pouvait ima-giner aucun chant. Je sentais que j'aimais ce pays plus qu'aucun autre pays peut-etre...454
Ce silence dont parle Andrć Gide permet de renouer avec soi-meme a la faęon des Peres du desert pour lesquels toute la transcendance du de-sert est un fait incontestable; ainsi, il n'est pas etonnant que Gide se per-mette un tel aveu :
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J'aime infiniment le desert. La premiere annee, je le craignais un peu a cause de son vent et de son sable [...]. Je preferais les chemins ombreux sous les palmes, les jardins de Ouardi, les villages. Mais Tan passe je fis d'enormes promenades. Je n'avais d'autre but que de ne plus voir 1'oasis. Je marchais; je marchais jusqu'a me sentir enfin immensement seul dans la plaine. Alors je commenęais de regarder. Les sables avaient des veloutements d'ombre au versant de leurs monticules; il y avait des bruissements merveilleux dans chaque soufYle; a cause du grand silence, le bruit le plus fin s'entendait. [...] Cette monotone ćtendue me paraissait de jour en jour d'une diversite plus specieuse 455
452 P. Bruckner, Le Sanglol de l'homme blanc, op. cit., p. 188. 4Si A. Gide, Amyntas, op. cit., p. 15.
454 Ibid., p. 40.
455 Ibid., p. 43.