Cet historien, qui avait succede a Spanheim comme secretaire-interprete des Etats-Generaux de Hollande 353, jouissait d’un grand renom parmi ses coreligionnaires; il etait en relation assidue avec Bayle et Jurieu, et fre-ąuentait meme a partir de 1691 les reunions hebdomadaires des pasteurs de La Haye. On peut etre sur que dans ses lettres a Bossuet il interpretait les sentiments de ses amis illustres.
Cette correspondance est interessante, puisqu,elle nous permet d’observer les adversaires qui se preparent a etudier les meilleures positions pour la lutte definitive. Jean Rou s’en prend aussitót au principal point en litige en ce moment-la. Tout le monde demeure d’accord, ecrit-il, que la douceur est le veritable caractere du christianisme, et que la religion se persuade mais ne se force point 354). Ici pourtant, tout en frappant de grands coups, notre protestant se menage prudemment des possibilites de retraite: Bossuet pourrait en effet decouvrir ses points vulnerables et le mettre au pied du mur. Le terrain etait trop scabreux pour que les Reformes s’y expriment en toute liberte de parole. Michel Servet, mort au bucher, etait la pour temoigner contrę eux; les troubles que la Reforme avait provoques, les carnages auxquels elle avait donnę lieu, les persecutions des catholiques en Angleterre et en Suede, les mesures prises contrę eux en Hollande, tout cela parlait trop contrę elle. Si la maxime de Jean Rou devait etre prise a la lettre, la Reforme aurait raison dans un pays et tort dans un autre. Voila pourquoi Tepistolaire accorde a la puissance publique le droit d^mposer aux sujets une sorte d’adhesion generale a TEglise de 1’Etat, et de les y maintenir nominalement; voila pourquoi il approuve meme l'exe-cution particuliere de ceux qui ruinent Tessence du christianisme, ou qui, par leur endurcissement, peuvent gater tous les autres. Seule une Eglise qui fait envoyer aux galeres, enfermer dans les fours et rótir au feu de paisibles brebis, et qui fait un cercueil ou une prison de tout un vaste royaume, ne peut aucunement etre la veritable Eglise, fondee par Jesus-Christ 355). II se sent fort de cet argument, et defie Bossuet dy donner une replique, faute de quoi on le considerera comme vaincu et reduit au silence pour de bon 356).
Bossuet ne sy trompe point. II voit clairement qu'il se trouve, non pas en face de Pierre de Vrillac et de Jean Rou seuls, mais de tout le parti des protestants refugies; il ne repond plus a son correspondant, et se met a travailler a une replique approfondie, laissant a ses adversaires pour un moment la joie de leur victoire supposee. Jean Rou publie sa correspondance avec Bossuet. Le titre de son livre est comme un cri de triomphe:
353) Ib., t. IX, p. 10 sq.
354) Lettre du 28 janvier 1686, Correspondance, t. III, p. 185.
355) Lettre du 8 mai 1686, Corresp., t. III, P- 235 są.
356) Lettre du 27 juin 1686, Correspt. III, p. 280.
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