634 SCIENCE CRIMINELLE ET DROIT PENAL COMPARE
Ce resultat, communement observe, revet une gravite insoupęonnee lorsque les plaideurs habitent le nieme ąuartier et sont appeles a se revoir quotidiennement. II sera la source de nouveaux conflits qui pourront meme s’etendre et degrader plus en-core ie climat social entre voisins ou habitants du meme quartier.
Conscient de ce resultat, le procureur de la Republique peut utiliser le droit qu’il tient de la loi, dans notre pays, d’apprecier Popportunite des poursuites et, dans de telles situations, preferer ne pas donner de suitę a la plainte. Mais la encore c’est lais-ser une victime insatisfaite, et donner a 1’auteur un sentiment d’impunite, et ainsi aggraver le malaise ne d’un evenement mineur.
On voit ce que je voulais dire en parlant de Pinadaptation de la justice a la petite delinquance : qu’elle intervienne ou qu’elle s’abstienne, sa pesanteur ou son inaction souligneront sa maladresse. On peut Penoncer dans une formule paradoxale : il faut choisir entre dire le droit ou apaiser un conilit.
Celui qui decide peut ne pas eprouver un attachement excessif au plaisir intellectuel de distribuer les torts. S’il privilegie le souci de la pak sociale, sa reflexion le condui-ra, par la voie des Solutions non judiciaires, jusqu’a la conciliation. II sait ce qu’est la conciliation en matiere civile. II 1’adaptera et aura ainsi invente la conciliation penale.
Ce cheminement a ete celui de deux magistrats de Valence' qui, confrontant leurs idees et leurs experiences, ont mis au point un systeme odginał. Ces deux magistrats sont la presidente du tribunal d’instance de Valence et le procureur de la Republique.
L’objectif etait de reconstituer le tissu social dans les quartiers. L’idee fut qu’on pouvait y parvenir en restituant le conflit au groupe social qui l’avait secrete, c’est-a-dire en demandant aux gens du quartier de le regler entre eux par des moyens qui ex-cluent la sanction, par des methodes qui permettent d’evacuer la peur ou la colere de leurs relations. L’un des deux magistrats avait observe, au cours d’un voyage d’etude en Chine, le reglement communautaire des diflerends prives. L’autre avait gardę, d’une carriere commencee outre-mer, le souvenir des assemblees de village au sein desquelles se denouaient les conflits. Dans les deux cas, les magistrats concemes avaient remarque les effets apaisants de Pintervention du groupe dans la relation duelle, alteree par la querelle.
II fallait parvenir a ce changement radical de mentalite qui aboutit a ne plus voir comme ineluctable la punition au bout du comportement deviant et dommageable. Pour cela il fallait organiser la rencontre entre auteurs et victimes, leur dialogue, et la recherche commune d’une solution. Ce fut la mission donnee aux gens du quartier, et plus specialement a ceux d’entre eux qui furent choisis et nommes dans les fonctions oflicielles de conciliateurs.
Le conciliateur existe en droit franęais. Son statut est prevu par un decret du 20 mars 1978. Mais c’est un personnage choisi parmi les notables et qui regle seul un li-tige civil entre deux personnes privees. II a ete conęu et institue dans Pintention de soulager par son concours les juridictions encombrees par les petites aflaires.
Ce n’etait evidemment pas notre conception de la conciliation et, si nous avons uti-lise le texte, nous l’avons applique a une institution totalement diflerente dans son esprit et dans ses modes de fonctionnement.
Le conciliateur pour nous n’etait pas un notable. Ce devait etre un citoyen que rien ne differenciait en apparence des autres habitants du quartier. Mais il devait avoir le souci de preserver le climat social, posseder le sens des contacts humains, etre habite pas un ideał de tolerance et d’ouverture aux autres. II devait connaitre les difficultes du quartier, les avoir vecues, en avoir souflert. II devait avoir connu une vie associa-tive riche, marquant par la son sens de la communaute.
II devait en toutes circonstances operer au sein d’une equipe et travailler en colla-boration avec au moins un autre conciliateur, afln qu’aucun d’eux ne puisse s’appro-prier la conciliation ni Pincamer. Enfin, il devait etre benevole.
1. Il s’agit de Mme Nicole Obrego.
Rev. science crim. (3), juill.-sept. 1990