660 SCIENCE CRIMINELLE ET DROIT PENAL COMPARE
C’est un bon ouvrage, concis, clair, qui retient Pinteret, avec une idee force que Ton peut discuter mais qui a le merite de s’inscrire avec courage a contrę courant des idees reęues et, ęa et la, quelques formules d’un franc parler roboratif. Et comment ne pas souligner ainsi que Pauteur a su, lui, resister a la triple tentation de raconter a dossier ouvert les procedures criminelles dont il a eu a connaitre, d’accabler certains de ses anciens collegues de sarcasmes — mis a part quelques-uns malchanceux non identifies qualifies de « vieux hiboux » ou de « pietaille » — ou de poser comme un empereur romain de la basse epoque pour un portrait en buste.
L’idee essentielle qui sous-entend la plus grandę partie du livre est une critique se-vere de la loi du 28 juillet 1978 qui a substitue le tirage au sort des jures a partir des listes electorales au systeme traditionnel qui prenait pour base de ce tirage les listes etablies par une commission composee de magistrats et d’elus locaux. Xavier Versini qualifie le nouveau regime d’« aventureux » et « inepte » et denonce la « demagogie » et « 1’inconscience » d’un modę de designation dans lequel « 1’idiot du village pese autant que le professeur du College de France ». Et 1’auteur de se gausser de ces nouveaux jures qui « viennent (au proces), en fripes, ou en bras de chemise comme a la petanque », le clochard, Pattarde, Pexcite, le fumiste — tous « selectionnes du metro » — se melant, avec « les habituels pitres de service (des) proces gauchistes » aux jures de meilleur niveau qui, fort heureusement, se rencontrent toujours. C’est, dit-il, « se moquer de la justice que d’y admettre tout le monde, c’est-a-dire n’importe qui ». II ne s’eleve pas contrę 1’institution du jury mais contrę 1’absence de toutes se-lections autres que celles, necessairement aleatoires, des accusations a Paudience des assises. De meme estime-t-il regrettable que Pon ait abaisse a vingt-trois ans Page ou Pont peut etre jurę, tant Pexperience et la maturite sont necessaires pour juger eąuita-blement les autres : s’agit-il, s’interroge-t-il, de confondre Paccuse ou de confondre Paffaire ?
Son « intime conviction », A. Versini nous la livre encore a propos de bien d’autres aspects du proces penal : la misę en place progressive du systeme actuel d’echevinage entre magistrats et jures, le « sot projet » de soumettre les decisions des cours d’assises a la voie de Pappel, la necessaire correctionnalisation legale et judiciaire, les faiblesses coupables de certains hommes politiques pour quelques malfaiteurs fameux, les chausse-trapes d’une procedurę penale a qui sa complexite donnę parfois Paspect d’un champ de mines et puis, phenomenes plus recents qui suscitent chez lui des sen-timents d’amertume et Pinquietude, la demission du jury dans une affaire celebre de terrorisme qui a conduit a creer par la loi du 9 septembre 1986 une cour d’assises a sept magistrats, et Pimpression, dans un autre proces fameux, que des assassins pre-sumes n’aspiraient pas moins, a force de provocations, qu’a prendre a leur compte la maitrise meme de Paudience...
Et pourtant, le livre referme — vite lu, peut-etre vite ecrit — on reste un peu insa-tisfait. Experiences, conviction, vigueur du style, sans doute, mais partiellement ga-chees par un certain manque de coherence dans Penchainement des problemes abor-des et de proportion dans les developpements qui y sont consacres. II eut fallu peut-etre qu’un editeur plus exigeant insistat pour que Pauteur prit sur lui de traiter plus completement et plus rationnellement plusieurs grands themes a prop>os des proces d’assises au lieu de consacrer Pessentiel de sa reflexion a celui de la composition du juty, si important soit-il.
Car il pouvait tres bien le faire. Rien n’interdit a un magistrat en dehors de ses fonctions ou a Page de la retraite de montrer qu’il a du talent voire de Pimagination et meme — pourquoi pas ? — le gout qu’il peut avoir encore de la liberte. Ecoutons, pour en etre convaincu, avec quelie finesse Xavier Versini definit le role du president de la cour d’assises : « Son role : mettre en scene une situation jusque-la figee dans le papier, stimuler les acteurs, faciliter leur expression en les renvoyant a un texte s’ils s’en eloignent, mais en acceptant qu’ils improvisent sauf a rechercher pourquoi et, fi-nalement, le rideau baisse, juger la piece — une tache immense qui sous-tend a la fois la confiance des acteurs et celle du public ». Et puis enfin, comme un emouvant
Rev. science crint. (3), juill.-sept. 1990